États-Unis : compte rendu de la manifestation antifasciste de Portland du 4 août 2018

Lu sur le site américain It’s Going Down (et traduit par la Horde) :

Les gens arrivaient petit à petit à Chapman Square. Le cortège PopMob était parqué sur le trottoir et sur les marches dans la rue située en face du tribunal, avec la partie la plus libérale des contre-manifestant.es. Les gens portaient des pancartes, certain.es s’adressaient à la foule dans des mégaphones et des clowns dansaient sur un autre trottoir tandis que les gens du black bloc s’activaient. Après quelques repérages, le meilleur parcours en direction de là où se trouvaient les fachos, le front de mer, fut décidé, et les gens se sont rassemblés derrière une banderole où l’on pouvait lire « GFTÖ ya Jabrönis », qui devait prendre la tête de la manif. La PopMob s’est retrouvée derrière nous. Lorsque nous sommes arrivé.es à l’intersection de Salmon et de Naito Parkway, il était un peu plus tard que 11h30.

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Après être resté.es environ une heure sous le soleil qui tapait, tou.tes derrière la banderole, dégoulinant de sueur, formant de temps à autre un cercle serré pour que quelqu’un.e puisse se changer ou pisser, nous avons eu l’info que Joey Gibson et ses gorilles manifestaient au nord du front de mer. Depuis notre arrivée, la police ne cessait de nous menacer, nous disant que si nous ne partions pas, nous serions interpellé.es ou qu’ils utiliseraient des armes non létales.

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À Portland, les flics se réjouissent d’utiliser leurs armes quasi-létales…

Nous avons pris la direction du nord et nous avons commencé à manifester sur le trottoir en face de la rue où se trouvaient les fascistes. Des véhicules blindés avec, à leur bord, des flics en tenue anti-émeute complète roulaient dans les deux sens sur Naito Parkway, entre les deux groupes. Les flics qui étaient à pied étaient également obligés de marcher dans les deux sens de la rue, en plein cagnard, avec leur équipement anti-émeute complet ; les voir aussi mal m’a rendu la chaleur qui nous faisait souffrir plus supportable. À un certain moment, le petit groupe affinitaire avec lequel je bougeais a été séparé du reste du cortège. Nous sommes restés en mouvement dans un cortège plus vaste, dont environ un tiers portait un équipement, et nous avons continué à nous déplacer sur le trottoir, car nous ne pouvions toujours pas aller sur la chaussée. Des badauds nous ont fait passer des bouteilles d’eau froide et des barres de céréales, et nous avons vu des gens de Food Not Bombs qui nous ont donné des sandwichs avec des falafels. C’était un groupe important de gens très divers qui était là.

En plus de ce cortège, il y avait aussi des travaillistes, accompagnés des Democratic Socialists of America et de divers autres groupes qui composaient la PopMob, dont certain.es déguisé.es en tournesols géants.

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À un moment, quelqu’un est arrivé avec un caddie, avec une guillotine dedans, avec en fond, la musique de The Coup, « The Guillotine ».

La manif a ralenti pour finalement s’arrêter. Notre groupe, content d’avoir trouvé un peu d’ombre, s’était arrêté pour boire de l’eau ; nous étions en train de danser sur une musique dont personne ne voyait d’où elle venait. Mais le répit n’a pas été long. Soudain, on a vu plusieurs mouvements au sud et un appel à l’aide. Nous y sommes allé.es pour voir que Joey Gibson et deux membres de son équipe de gorilles avaient été autorisés à traverser la rue vers les contre-manifestant.es. Nous nous sommes mis.es en chaîne, et tou.tes celles et ceux qui étaient là, du black bloc ou pas, ont formé un cercle compact autour d’eux et les ont rejetés vers la rue. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé avant qu’ils soient là, mais lorsqu’ils ont retraversé pour se retrouver de leur côté, ils se sont félicités. Juste à ce moment-là, j’ai entendu quelqu’un crier : « J’ai la casquette de Joey ! Quelqu’un veut faire un selfie avec ? »

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Joey Gibson se faisant piquer sa casquette…

Il y a eu une autre brève bousculade avec un gars qui voulait prendre des photos au mauvais endroit au mauvais moment, puis la tension a semblé se dissiper un peu. Après ce qui nous a semblé des heures mais n’a vraisemblablement duré pas plus de 20 minutes, les fascistes ont commencé à aller de nouveau vers le sud en partant de Salmon Street. Les contre-manifestant.es les ont suivi, en face, puis ont tourné à droite dans Main Street pour descendre plus loin vers le sud-ouest de la ville. Les gens se sont éparpillés, puis regroupés lorsqu’il s’est agi de se rassembler derrière les banderoles. Les flics anti-émeute faisaient alors face aux contre-manifestant.es, avec les fascistes cachés derrière eux de l’autre côté de la rue, encourageant les stormtroopers payés par les impôts. Il y avait un camion-sono plein de contre-manifestant.es avec une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Les racistes ne savent pas danser ».

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Nous étions plutôt vers l’arrière, si bien que nous n’avons pas vu les flics commencer à tirer les grenades incapacitantes : les premiers tirs ont donc été terrifiants, surtout à cause de l’effet de surprise. Tout le monde a commencé à courir en arrière. J’ai essayé de garder mes ami.es en vue et j’ai reculé calmement, comme l’ont fait de nombreuses personnes autour de moi, malgré le nombre important de gens qui, on peut le comprendre, tournaient le dos aux flics et couraient. Les flics continuaient à tirer des grenades incapacitantes, des grenades au poivre et probablement des balles en caoutchouc. J’ai également vu de nombreuses personnes couvertes de gaz lacrymo, dont des médics ou d’autres camarades nettoyaient les yeux. J’ai vu quelques personnes saigner, blessées d’après moi par des balles en caoutchouc ou par les débris projetés par les grenades incapacitantes lorsqu’elles touchent l’asphalte et qu’elles explosent.

Les flics ont continué à déployer des armes non létales, repoussant la contre-manif tout d’abord vers l’ouest, puis vers le nord. Après un jeu du chat et de la souris qui a duré longtemps, la contre-manif était à ce point éparpillée que notre groupe a décidé qu’il était temps de partir. Nos forces diminuaient, et nous étions vulnérables ; nous risquions d’être nassé.es et nous n’avions pas envie de nous retrouver piégé.es entre les fachos et les flics, ce qui semblait être ce vers quoi les flics nous poussaient.

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Plus tard, j’ai appris qu’il y avait toujours des fachos sur le front de mer alors que leurs véhicules étaient partis. De ce que j’ai entendu, il y avait environ 30 personnes de chaque côté de la rue avec les flics entre les deux, et ils se sont gueulés dessus pendant une heure à peu près, puis ils en ont eu marre et ils sont partis.

Le jour suivant, je n’étais pas le seul à être démoralisé. Quelques fascistes avaient sauté par dessus les barricades et s’étaient fait taper dessus, mais en fin de compte, les flics les avaient protégés. Nous n’avons jamais eu l’occasion de nous approcher : ils ont pu manifester.

D’un autre côté, la participation à la contre-manif était énorme. La jonction des différents groupes et individus a crééé un effet de masse : nous étions trois fois plus nombreux.ses qu’eux. Je suis sûr que les événements qui ont eu lieu ce samedi 4 août auront de l’importance dans nos futures décisions tactiques. En en combattant le fascisme au quotidien, nous enrichissons notre expérience de lutte collective. Par ailleurs, la réponse disproportionnée de la police a aussi rendu les gens furieux.

Pour finir, je serais négligent si je ne parlais pas de l’usage que les flics anti-émeute font des grenades incapacitantes. Après la manif, de nombreux compte rendus ont fait état de policiers visant la tête des gens avec des grenades assourdissantes. L’une de ces personnes a été touchée à l’arrière du crâne par un flic qui se trouvait près de lui, si bien que la grenade est restée fichée dans son casque, lui infligeant une blessure béante à la tête. Cette attaque aurait été fatale s’il n’avait pas porté ce casque de vélo.

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Ce qu’implique tout cela est très grave : nous savons que les flics sont des brutes violentes et meurtrières, et ce contexte de manifestation leur donne une excuse pour se faire plaisir et blesser des gens sous le prétexte du « maintien de l’ordre », contexte dans lequel ils ont encore moins de comptes à rendre que d’habitude. Peut-être faudrait-il désormais considérer comme essentiel le port de casques de motos en manif.