Espagne : le congrès approuve une loi anti-contestation et anti-immigrés

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L’actuelle crise du capitalisme, apparue initialement dans les sphères de la finance en 2007 avant d’atteindre l’économie « réelle » l’année suivante, a apporté son lot de fléaux, tant socio-économiques que politiques : forte montée du chômage et des inégalités, sauvetages des banques (en clair de leurs actionnaires) financés par des hausses d’impôts et de l’austérité pour les populations, spéculation sur les matières premières (notamment alimentaires) et émeutes de la faim, exacerbation du racisme et autres idées d’extrême droite… Les redistributions des richesses en faveur de la minorité capitaliste ont été accompagnées par des politiques plus autoritaires, répressives et xénophobes, faisant le lit des idées réactionnaires.

La dernière en date vient d’Espagne, pays où de fortes mobilisations sociales ont vu le jour depuis le début de la crise. Le Partido Popular (PP, équivalent espagnol de l’UMP) a offert un joli cadeau de noël avant l’heure aux élites… à fort relent franquiste. En effet, le Congrès (chambre basse du Parlement) a approuvé le 11 décembre, avec les seules voix du PP qui y détient la majorité absolue, la « Loi de Sécurité Citoyenne », rebaptisée par ses opposants « Loi muselière » (« Ley mordaza » en espagnol). Derrière la sémantique Orwellienne, se cachent des dispositions – ô surprise – liberticides et xénophobes.

En préparation depuis plus d’un an, et massivement rejetée tant par la population que par les autres forces politiques, la loi s’articule essentiellement autour de trois axes :

  • Les versions des faits des forces de l’ordre voient leur valeur probante augmenter,
  • Renforcement de l’arsenal législatif anti-immigration,
  • Les « fautes » qui jusqu’à alors relevaient du Code Pénal, et qui par conséquent devaient être jugées par un tribunal, sont ici punies par le biais d’amendes administratives. En clair, l’Etat pourra dorénavant sanctionner sans qu’il y ait de jugement au préalable.
    L’immigration : encore et toujours cible et écran de fumée
    Alors qu’avec la crise l’Espagne est elle-même redevenue une terre d’émigration, deux nouvelles mesures xénophobes sont prévues :
  • Expulsions sommaires à Ceuta et à Melilla (enclaves espagnoles en Afrique du Nord) : expulsion manu militari (donc plus d’identification des migrants, plus de différenciation entre mineurs et majeurs…) et/ou remise à la police marocaine,
  • Toute personne qui s’opposerait aux expulsions pourra être condamnée à une amende pouvant aller jusqu’à 30 00,00 €.
    Cette dernière disposition, relative au délit de solidarité, facilite le passage « en douce » des règles anti-contestation également prévues par la loi. Décidément, si l’immigration n’existait pas, il faudrait l’inventer…
    Des mesures pour protéger les citoyens… d’eux-mêmes
    Pour comprendre d’où viennent ces nouvelles dispositions, il faut garder à l’esprit la manière dont la crise a impacté l’Espagne et les diverses mobilisations sociales qui eurent lieu depuis en réponse. Initialement présentée comme modèle de réussite de la démocratie représentative et du capitalisme, la situation espagnole démontre les limites des discours post-franquistes : la démocratie exclusivement formelle n’a pas empêché l’arrivée d’une telle loi ni la situation économique (chômage dépassant les 24 %, éclatement de la bulle immobilière, marasmes bancaires…) qui poussent aujourd’hui les jeunes à émigrer.

Alors que les banques furent sauvées par l’Etat, les expulsions de domiciles d’emprunteurs qui, plongés dans la pauvreté ne peuvent plus rembourser leurs prêts, sont légion. Des mouvements de solidarité émergèrent dans lesquels des citoyens s’interposaient aux saisies. Inspirés par la Révolution tunisienne de fin 2010/début 2011, le mouvement des Indignés est apparu. Avant d’inspirer lui-même les « Occupy » aux Etats-Unis et ailleurs, il fut marqué par l’occupation de places publiques en Espagne où chacun eu l’occasion de s’exprimer librement et de donner un coup d’élan à la contestation.

En avril 2014, Amnesty International dénonçait la hausse de la répression en Espagne dans son rapport « Espagne : le droit à manifester menacé ». Elle y dénonçait la violence des forces de l’ordre à l’encontre de manifestants pacifiques et autres limitations au droit de réunion et de manifestation. C’est dans ce cadre que les « fautes » des citoyens sont classées dans la nouvelle loi selon trois catégories : légères, graves et très graves. Un barème est affecté à chacune d’elle :

Fautes légères : amendes de 100,00 € à 600,00 € :

  • Réunions sur la place publique,
  • Occupation d’établissements bancaires ou tout autre immeuble,
  • Manque de respect envers la police,
  • Prendre en photo ou filmer des policiers, même quand ce sont eux les agresseurs.
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    « C’est enfin gratuit les gars »

Fautes graves : amendes de 601,00 € à 30 000,00 € :

  • Manifestations devant le Congrès, le Sénat ou les parlements autonomes,
  • Intrusion dans des installations de service public,
  • Brûler des bennes à ordures,
  • Refus de dispersion des réunions ou des manifestations,
  • Empêcher les expulsions des domiciles,
  • Refus d’obtempérer,
  • Refus de décliner son identité aux autorités ou donner de fausses informations,
  • Utilisation non autorisée de données et d’images des forces de l’ordre
    Fautes très graves : amendes de 30 001,00 € à 600 000,00 € :
  • Réunion ou manifestation dans les installations de service public,
  • Organisation d’activités culturelles contre les interdictions des autorités.

Avant d’être applicable, la loi doit être approuvée par le Sénat. D’ores et déjà, les partis politiques de l’opposition font bloc contre elle. Reste à savoir, si la mobilisation populaire pourra d’elle-même imposer le respect de ses libertés, seule garante d’une solution pérenne.
La Horde