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Ces dernières années, le National Socialist Black Metal (NSBM) a tendance à s’inviter comme si de rien n’était dans différents festivals de metal : si en Norvège ou en Allemagne, le phénomène est pris au sérieux, en France, où un groupe NSBM comme Peste Noire peut se produire dans l’indifférence générale, on ne semble pas prendre la mesure du danger que représente cette dérive néonazie dont de nombreux fans de metal ne veulent pas.

Si les groupes de black metal, un dérivé sombre et parfois mélancolique du heavy metal apparu dans les années 1980, multiplient les références sataniques, se complaisent dans la description de toutes les formes de violence extrême et appellent souvent, dans un grand élan misanthropique, à la disparition de l’espèce humaine, il faut en général davantage y voir un goût prononcé pour la provocation qu’une véritable volonté d’en finir, malgré les quelques faits divers macabres (incendies volontaires d’église, suicides, meurtres) qui accompagnent l’histoire de ce mouvement. Certains groupes de black metal défendent même des idées antiracistes, anarchistes, autogestionnaires ou écologistes, voire même antifascistes, comme le groupe russe Distress, au sein duquel jouait Timur Kachavara, assassiné par des néonazis en novembre 2005.

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Cependant, il existe aussi hélas au sein de cette scène, un sous-genre, la mouvance Nationalist Socialist Black Metal (NSBM), qui se veut davantage de l’idéologie en musique et un projet métapolitique que du délire musical. Le National Socialist Black Metal est une appellation un peu restrictive pour désigner en réalité toute forme de metal extrême servant de vecteur à une idéologie d’extrême droite (néonazisme, idéologie völkish, nationalisme identitaire slave...).

Aux origines du NSBM

Tout au long des années 1970 et 1980, le heavy metal a été un mouvement musical plutôt apolitique, mais à partir des années 1990, certains groupes de black metal (version plus agressive et « sombre » du genre) se sont fait remarquer par des postures politiques racistes et nationalistes, en vue d’imposer à toute la scène metal leur vision du monde. En voici quelques figures, qui ont le plus souvent lié production musicale, propos néonazis et actes criminels.

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Burzum, fondé en 1991, est un one-man-band du Norvégien Kristian Vikernes , surnommé « Varg » (du nom des loups de Sauron dans Bilbo le Hobbit de Tolkien), condamné en 1994 à une peine de 21 ans de prison pour des destructions d’église par incendie et pour l’assassinat d’Oysten Aarseth alias « Euronymous », membre du célèbre groupe de black metal Mayhem (dont Vikernes a fait brièvement partie). Vikernes a poursuivi sa carrière en produisant les disques de Burzum depuis sa cellule, en écrivant des livres sur le paganisme et en créant le mouvement odaliste, tout en adoptant un look naziskin.

En 2010, après avoir purgé sa peine, Vikernes s’installe en France, en Corrèze, et se reconvertit dans le survivalisme : en 2013, il est arrêté par la police, soupçonné de vouloir commettre un attentat à l’instar d’Anders Breivik [1], et une perquisition à son domicile a découvert qu’il était en possession d’une demi-douzaine d’armes à feu. Mais c’est finalement pour des propos antisémites et racistes publiés sur son blog qu’il se retrouve la même année devant un tribunal.

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Le jour de son procès, en plus des fans de Burzum venus demander un autographe et faire des selfies avec lui, une petite douzaine de militants d’extrême droite (dont Logan Djian, dont nous avons récemment parlé ici) l’accompagnaient. Il faut dire que le même jour, au même endroit, Dieudonné passait en procès pour sa chanson antisémite « Shoahnanas » : Vikernes postera le soir même une vidéo de soutien, quenelle à l’appui. Autre lien avec le milieu d’extrême droite français, Vikernes va sortir un livre intitulé M agie et Religion en Scandinavie antique aux éditions du Rubicon, une maison d’édition proche de l’émission de radio Méridien Zéro, elle-même liée au Mouvement d’Action Sociale (MAS), un groupuscule nationaliste-révolutionnaire qui s’est récemment autodissous.

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L’Allemand Hendrik Möbus , initié aux États-Unis dans les réseaux suprématistes blancs, est le gérant du label NSBM Darker than Black, et le principal organisateur de rassemblements NSBM en Allemagne, en Europe de l’Est et en Italie. Möbus a fondé en 1992 le groupe NSBM Absurd, qui s’est fait connaitre en reprenant dans l’un de ses clips des images du film nazi Der Ewige Jude . Par ailleurs, en avril 1993, encore adolescent, Möbus a prémédité et organisé avec d’autres membres du groupe le meurtre de leur camarade Sandro Beyer, 15 ans, qu’ils ont étranglé avec un câble électrique. Il a été condamné en 1994 à huit ans de prison.

Le Polonais Robert Fudali, alias Rob Darken , est lui aussi actif depuis le début des années 1990 : homme-orchestre au sein de Graveland, fondé en 1992, il est également membre de l’organisation de musiciens « aryens » Temple of Fullmoon.

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Robert Fudali et Graveland. C’est grave, en effet…

Sur le site officiel de Graveland, des dizaines de propos antisémites sont archivés dans les interviews publiées depuis plus de vingt ans. En 2016, Graveland a donné ses premiers concerts, au Hot Shower en Italie ainsi qu’au Ragnard Rockfest en France, dans l’Ain, en juillet : le préfet, alerté sur la présence de groupes néonazis, a malgré tout autorisé ce rassemblement NSBM qui se présentait sous la forme d’un festival viking, mais au cours duquel les hommages à Burzum et à Absurd ont été nombreux sur scène, et la propagande NSBM a été diffusée pendant quatre jours auprès de 12 000 spectateurs…

Au-delà de ces figures fondatrices, qui restent des références aujourd’hui, le développement récent de la scène NSBM se fait de façon plus occulte, en s’adaptant localement. Le succès relatif de certains groupes les pousse à plus de discrétion, en prenant leur distance avec une idéologie ouvertement néonazie afin de faire taire leurs détracteurs, et en adoptant une position qu’on pourrait qualifier, pour reprendre l’expression du chercheur Anton Shekhovtsov à propos des scènes néo-folk et industrielle des années 1990, d’ « apolitéïque ».

Et en France ?

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Les différents logos utilisés par Peste noire : un goût certain pour les symboles d’extrême droite.

Le groupe Peste Noire est actuellement à l’avant-garde de la scène NSBM hexagonale, invité dans plusieurs festivals à travers l’Europe, parfois même en tête d’affiche, et prévoit au moins deux concerts « clandestins » en France prochainement : le 29 octobre en Limousin, le 28 janvier en Rhône-Alpes. PN annonce également, en dépit de l’interdiction, se produire le 18 novembre au sud de l’Allemagne (dans la région de Mannheim).

Depuis son apparition en 2001 avec la démo intitulée « Aryan Supremacy » (que le groupe avait déjà sorti en 2000 sous un autre nom, Dor Daedeloth), le groupe n’a pourtant donné en dix ans qu’une quinzaine de concerts en France et au Canada, en particulier en raison d’une line-up instable.

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La première demo de PN, Aryan Supremacy, d’abord diffusé sous un autre nom. À gauche, le groupe Dor Daedeloth.

Fondé par Ludovic Faure alias « Famine », un adepte de la quenelle et des babioles nazies, Peste Noire doit son nom à l’antisémitisme de son leader, qui fait ici référence à la peste bubonique qui décima la population européenne entre 1347 et 1352, et qui donna lieu à de nombreux pogroms anti-juifs.

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Famine, leader de Peste Noire.

Dans la demo de 2001, Peste noire assume d’ailleurs sa haine antisémite, avec des paroles comme celle de la chanson "Camp de la mort" : " Before leaving this earth / I want their death / A pure fucking genocide / For the ultimate revenge " que l’on peut traduire ainsi : " Avant de quitter cette terre / Je souhaite leur mort / Un putain de pur génocide / Pour la revanche ultime ". Par la suite, aucun propos antisémite ne sera aussi explicite dans les paroles du groupe, mais dans l’introduction de son album éponyme, Peste Noire reprend en fond un discours de la LVF du 8 juillet 1941, où il est dit : « Ce n’est pas la France qui a été battu, ce n’est pas le peuple français, c’est la bande de Juifs, de salauds de capitalistes qui nous dirigeaient.  ». Malgré cela, Famine, qui se revendique volontiers « nationaliste », se défend pourtant de toute filiation avec le national-socialisme allemand : il faudrait, selon lui, plutôt chercher ses références du côté de l’ultra-nationaliste ukrainien Stepan Bandera.

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Stepan Bandera, l’idole de Famine

Ce dernier a activement collaboré avec les nazis pour combattre l’Armée rouge, et ses commandos ont commis de nombreux massacres antisémites, comme à Lviv le 25 juin 1941, main dans la main avec les Einsatzgruppen : mais comme, en dépit de toute ses marques de bonne volonté, Hitler a finalement refusé aux nationalistes ukrainiens que leur pays soit autre chose qu’une simple colonie allemande, Stepan Bandera s’insurge et il est incarcéré, tandis qu’une partie de ses combattants, après la dissolution de ses troupes, rejoignent les nazis et participent au massacre de Babi Yar en septembre 1941. Après avoir encouragé les Ukrainiens à soutenir les nazis dans la lutte contre le bolchevisme, Bandera, en 1943, lance un appel à déserter tout en continuant à défendre l’idée d’un nationalisme intégral ; c’est surtout parce qu’il comprend que Hitler va perdre la guerre qu’en décembre 1944, Bandera finit par fuir de Berlin… Ce petit rappel historique montre bien que les dénégations de Famine quant à ses sympathies néonazies sont tout simplement grotesques, d’autant que Bandera est l’idole aujourd’hui des ultra-nationalistes ukrainiens de Secteur Droit et du régiment Asov, avec lesquels Famine aime à tendre le bras droit, accompagné de ses amis suisses de la Misanthropic Division.

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Peste Noire prévoit d’ailleurs de se produire en Ukraine en décembre avec les groupes NSBM identitaires slaves Kroda, Sacrificia Mortuorum, M8l8th, qui soutiennent ouvertement le Régiment Asov et collaborent avec Secteur Droit, en particulier pour organiser des concerts de soutien.

Pour en revenir à Peste Noire, le groupe prend le nom de Kommando Peste Noire (KPN) pour ses prestations live, au cours desquelles il accueille en son sein des musiciens venus d’autres formations.

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De gauche à droite : "Famine" le leader, Marc Duparc (de Lemovice), Florian Denis (de Wolfangel), "Thorwald" de BMH, "Snorr le Porc" et Audrey Sylvain.

KPN inclue ainsi des membres de groupes de RAC (Rock Against Communism) : on retrouve trois membres du groupe Wolfsangel (plus d’infos sur ce groupe dans le dossier réalisé par des antifascistes toulousains), dont, à la batterie, Florian Denis, par ailleurs gardien de cimetière à Riom (ça ne s’invente pas). Il faut noter une certaine porosité en France entre les scènes RAC et NSBM, puisque le groupe RAC Lemovice se produit sur scène avec des musiciens jouant dans des groupes NSBM de Limoges, à l’instar de Marc Duparc, qu’on retrouve à la fois dans Lemovice et Peste Noire.

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Enfin, Famine partage le micro avec « Thorwald », du groupe NSBM Baise ma Hache (BMH). Si BMH a une audience plus confidentielle encore, le groupe mérite cependant qu’on s’y attarde, car il montre actuellement une certaine vitalité. En juin 2015, BMH devait jouer à Saint-Étienne, à la Clé d’Voute, un espace pourtant interculturel, mais grâce à la vigilance des antifascistes locaux, qui, dossier à l’appui, avaient alerté les gérants de la salle, le concert avait finalement été annulé. BMH s’est récemment produit dans le local picard de Serge Ayoub, et en septembre dernier, il a joué en Italie, aux côtés de Dark Fury, un des leaders de la scène NSBM polonaise.

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Des membres de Dark Fury animent également un groupe de RAC, White Devils : un split regroupant à la fois Dark Fury, White Devils et War, intitulé « Alliance of Hate », arbore fièrement une croix gammée formée par des haches. Enfin, BMH a joué au rassemblement NSBM italien Hot Shower en 2016 avec Graveland, et KPN y est prévu pour la prochain édition le 1er avril 2017.

Les concerts à venir

Interdit en Allemagne au festival de black metal Sinister Howlig en novembre prochain, le groupe a également été exclu du prochain festival Blast Fest prévu en février 2017 en Norvège : le groupe Napalm Death, qui participe au festival, avait protesté contre la présence de Peste Noire, et les gérants de la salle de concert, les responsables de l’hébergement, les responsables des cuisines et des cantines des artistes, les partenaires du festival ont également prévenu que la venue de Peste Noire équivaudrait à l’annulation pure et simple du festival.

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En revanche, pour ce qui est des concerts prévus en France, tout semble se dérouler sans problème. Le flyer appelant au rassemblement prévu le 29 octobre est pourtant explicite politiquement : il reprend le logo de la White Aryan Resistance, et l’un des groupes, Sacrificia Mortum, utilise quant à lui la croix celtique dans son logo. Organisé sur le modèle des concerts néonazis comme ceux de Blood & Honour, le lieu du concert est actuellement tenu secret, et ne sera révélé qu’au dernier moment : on sait simplement que la salle aurait une capacité de 500 places, et que le prix d’entrée est de 25 euros (il n’y a pas de petit profit !).

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Goatmoon et son irrésistible chanteur.

Le 28 janvier 2017, KPN et BMH partageront l’affiche avec le groupe polonais Dark Fury, déjà évoqué plus haut, et le groupe finlandais Goatmoon, actif depuis 2002, dont le leader aime à s’exhiber avec un t-shirt représentant l’aigle nazi ; dans sa chanson « Der Zieg des Ziegenmondes », il éructe explicitement : « la croix gammée émerge de ma terre natale / le temps de la purification est venue.  »

Il faut admettre que Peste Noire a réussi à développer des stratégies pour contourner les interdictions, par exemple en changeant la date de ses rassemblements au dernier moment. PN aime aussi adopter une posture victimaire, dénoncer le « complot » antifasciste qui le persécuterait, pleurnicher en invoquant la « liberté d’expression » : on peut prévoir que sa réaction à notre article, s’il y en a une, sera du même acabit. Et pourtant, c’est bien davantage l’indifférence qui domine dans les structures antiracistes et progressistes (à l’exception de quelques antifas à Toulouse, à Limoges ou à Saint-Étienne) face à un phénomène qui reste certes marginal, mais que l’on laisse se développer en toute tranquillité, malgré une idéologie néonazie clairement affichée et des fréquentations internationales sans ambiguïté.
La Horde
(avec la collaboration de métalleux antifas)

Notes

[1Si Vikernes a fait partie des personnalités à qui Breivik a envoyé son manifeste, il prit assez vite ses distances avec le terroriste d’extrême droite à qui il reprochait d’avoir ciblé des Norvégiens « de souche ».