Lu sur le site de la commission antifasciste du NPA, Tant qu’il le faudra :

Symbole de sa refondation, le Front national devrait se muer en Rassemblement national. Le terme qualifiait déjà le groupe parlementaire de 1986, coalition de députés fraichement entrés au FN, comme Bruno Mégret, et des cadres déjà historiques dont Bruno Gollnish et Jean-François Jalkh sont les derniers représentants. La flamme tricolore sera conservée, « si élégante, si moderne, si reconnaissable ». Ces petites pirouettes satisfont les nouveaux adhérents et tentent de rassurer les anciens. Aliot, élu n°1 au nouveau Conseil national, trouve que « c’est le moment ou jamais de tout changer ». Mais le congrès de Lille ne bouscule pas les fondamentaux : défense de la valeur-travail, défense de la famille, défense de l’identité française, avec un objectif clair, le pouvoir.

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Un programme toujours d’extrême droite

Le refus de la loi Travail et le maintien du départ à la retraite à 60 ans ne suffisent pas à gauchir son discours ; pas plus que le maintien des 35h, d’autant que c’est pour proposer un « travailler plus pour gagner plus » avec la défiscalisation des heures supplémentaires [1]... Dans son discours de clôture, MLP parle de protections, jamais de protectionnisme, trop connoté trop « Philippot ». Mais la tonalité sociale subsiste : « Nous sommes les défenseurs des ouvriers, des employés et de ces malheureux agriculteurs sacrifiés sur l’autel du libre-échangisme et de la concurrence déloyale. Nous sommes les défenseurs les plus humbles à l’égard desquels devrait s’exprimer la solidarité nationale »... « et en même temps », les défenseurs de « l’esprit d’entreprise ». Le FN n’est pas favorable aux subventions directes aux entreprises. Mais MLP précise : « non pas par une sorte de haine sociale qui m’est insupportable, mais par souci de justice et d’efficacité », pour éviter les effets d’aubaine et la paperasserie administrative. Que les petits patrons se rassurent. « Le plus grand service qu’on puisse rendre aux entrepreneurs, c’est de les laisser travailler » et de leur rendre un « environnement économique favorable ».
A propos d’environnement, MLP propose « d’entrer dans la civilisation écologique » alors que « la science déferle sur nous avec la tentation prométhéenne de faire de l’homme l’égal de Dieu ». Mais l’écologie est réduite à une préservation du patrimoine naturel et de l’identité. C’est une société du nucléaire que le FN propose, puisqu’une très grosse majorité des adhérents se prononcent pour le maintien de l’énergie nucléaire (« dans l’attente d’énergies propres de substitution »). Question tentation prométhéenne, on est servi.

Certes, les adhérents revendiquent l’abandon de la restauration de la peine de mort... remplacée par une peine à perpétuité « réelle » incompressible. Une courte majorité se dégage aussi pour ne plus défendre l’interdiction de l’euthanasie. Mais le FN entend préserver le « modèle familial traditionnel », « dernier rempart face à la France nomade que veulent les mondialistes ». Ni PMA, ni GPA. Le mariage doit rester réservé aux hétérosexuels.

Notons que MLP aborde la question du numérique, pour que « la souveraineté numérique devienne une grande cause nationale » : données personnelles, logiciels libres, intelligence artificielle et agence européenne du numérique. Sur ces sujets du quotidien, le FN montre qu’il peut sortir des thématiques classiques de l’extrême-droite : attention à ce qu’il ne soit pas le seul à faire entendre sa voix.

Ce congrès s’ouvre dans un contexte de campagne contre la supposée « préférence étrangère » de la loi Asile et immigration où le FN revendique la suppression du droit du sol. Stéphane Ravier, sénateur de Marseille et membre du Bureau national, expliquait que cette loi était en réalité « une accélération du processus de remplacement […] du peuple français par un déferlement migratoire ». Le sujet est central. La salle se lèvera au cri de « on est chez nous », quand MLP affirme : « l’immigration, légale et illégale, n’est plus tenable ». Le ton est donné : c’est l’immigration qui appauvrit les français. De partage des richesses, il n’est jamais question. MLP critique « l’économie financiarisée », pas le capitalisme.

Quelle stratégie ? Quelles alliances ?

Marine Le Pen le martèle : le clivage gauche-droite est devenu obsolète et laisse la place au clivage mondialistes vs nationaux. Macron, c’est le mondialisme, le FN est donc sa seule opposition. CQFD. Ragaillardie par la victoire de la Ligue et la chute du «  Macron italien » puis galvanisée par la venue de Steve Bannon, MLP se voit déjà à la tête de l’Etat... à condition d’acquérir une « culture d’alliance ». Jean-Marie Le Pen a remarqué, goguenard, que l’ex-conseiller le plus radical de Trump n’est pas un modèle de « dédiabolisation ». Mais il n’est plus question de dédiabolisation. Il s’agit pour le FN de poser la base d’une « coalition des nationaux » pour gagner le pouvoir. Mais avec qui ? C’est un point délicat.

Il y a déjà eu un Rassemblement Bleu Marine, dont il ne reste guère que Collard. Le SIEL de Ouchikh a claqué la porte, comme plusieurs élus locaux. Ménard prend ses distances pour promouvoir son unification des droites. Marine Le Pen a clos le débat sur TV Libertés : « La droite hors les murs, ça a échoué […]. Il ne faut pas retomber dans un clivage que nous avons combattu : ’’on va refaire l’union des droites’’... cette espèce d’arlésienne dont on nous rebat les oreilles depuis 30 ans et qui n’a jamais fonctionné car la mariée a toujours dit non ».

Pour des alliances électorales, encore faut-il des troupes. Thierry Mariani déclare que les Républicains devraient étudier un rapprochement avec le FN. Mais cela ne fait qu’une tête de liste. Nicolas Dupont-Aignan s’avance avec Debout la France. Il salue la «  réelle volonté de changement » de MLP et propose déjà une coalition. Mais à part à droite, on voit mal où le Rassemblement national devra chercher la mariée.

Pour justifier le clivage « irréductible » des mondialistes contre les nationaux, MLP évoque la «  lutte éternelle des nomades contre les sédentaires » [2] : diatribes contre Attali, sédentaires contre nomades... on hésite entre les influences de la Nouvelle Droite version Institut Iliade et de vieilles notes rédigées par Soral [3]. MLP parle de « défi de civilisation » : une civilisation menacée par la « société matérialiste des multinationales et des banquiers » qui «  réduit l’être humain à l’état de marchandise et l’individu à sa capacité à produire et à consommer ».... la thématique reste classique à l’extrême-droite. Mondialisme sans morale, inversion des valeurs : tout ça, c’est la faute à mai 68... et MLP annonce un colloque à Paris, le 28 avril « 50 ans après : pour en finir avec mai 68 ». Encore un grand classique à droite.

Ce qu’il faut entendre dans le refus d’une « union des droites », c’est le rejet de la droite centriste et « mondialiste » de Juppé à Macron. Mais la porte est grande ouverte pour la droite « nationale », celle « qui ne veut pas que la nation disparaisse » parce qu’elle craint «  la perte de l’identité ». Le recours à la figure de Hélie de Saint-Marc dans le discours de clôture du congrès est plutôt habile.
Résistant, membre du Réseau Jade-Amicol (« comme » Maurice Papon ?), il sera déporté à Buchenwald. Il n’a pas l’odeur de soufre des collabos chers à son père. Officier dans la Légion, il part en Indochine puis en Algérie. Il combat le Viet-Minh et le FLN, avec toute la lucidité sur le sort réservé aux villageois et harkis ayant collaboré avec l’armée française, abandonnés après le départ des troupes. Il choisira la sédition en participant au putsch contre De Gaule. Il ne s’aventure pas dans l’OAS, sans toutefois désavouer ces hommes avec lesquels il a été emprisonné. Il sera réhabilité par le Général en 1966. Pour le Figaro, Hélie de Saint-Marc est un homme de « refus et de réconciliation » : une figure fréquentable et rassembleuse.... à droite.

Mais la présidente est aussi députée du Pas-de-Calais. Et « des gens dégoûtés par le PS et le PC », elle en a plein sa permanence. La députée du Pas-de-Calais sait qu’elle doit aussi s’adresser à ceux « qui ne veulent pas que la nation disparaisse » parce qu’ils redoutent «  la disparition des solidarités nationales »... Le Rassemblement national perpétuera et accentuera la tradition de double discours du FN pour ratisser large. Un peu de social dans une bonne dose de national.

Davy Rodriguez, ex-cadre du FNJ et assistant parlementaire de Sébastien Chenu, n’était plus là pour entendre MLP évoquer ce « sentiment fraternel qui unit les Français entre eux, d’où qu’ils viennent, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur couleur de peau, quel que soit leur niveau social ». L’information a été largement commentée : il était tricard pour s’être emporté contre un videur, la veille au soir, le traitant de « sale nègre ». Il faut dire que dans l’après-midi, l’intervention de Steve Bannon n’était pas spécialement bien traduite. Rodriguez aura dû saisir un peu trop littéralement le conseil de Bannon : « laissez-les vous traiter de racistes, de xénophobes, de nativistes, portez-le comme une médaille ! ». Quand même.. un transfuge du Front de gauche ! Conclusion : Rodriguez aurait mieux fait d’aller boire des coups à la Citadelle. Le bar de Génération Identitaire fêtait justement ses 3 ans pour un «  long week-end Identitaire & Patriote ». Photos et vidéos y étaient interdites et pas de risque de tomber sur un videur noir.

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