Déconstruire le discours économique et social du FN

La CGT Métallos a publié sur son site un long argumentaire anti-FN, dont voici la dernière partie, consacrée à la fumisterie qu’est le programme économique et sociale de Marine Le Pen.

Depuis 2011, le Front national a infléchit de manière importante son discours, au point que Marine Le Pen se présente aujourd’hui comme la championne dans la défense de la république, des travailleurs, des femmes, du logement ou encore de la laïcité. Le FN est-il un parti au service des salariés ? Non.

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La première inflexion « sociale » du Front national avait été organisée par Bruno Mégret lors des grèves de l’hiver 1995. La concurrence exercée par l’UMP à partir du milieu des années 2000 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy sur les questions identitaires et d’immigration et l’approfondissement de la crise économique à partir de 2008 ont motivé cette seconde inflexion « sociale » sous la houlette de Marine Le Pen depuis 2011. Depuis la fin des années 1990, le FN a progressivement rééquilibré son programme entre les questions économiques et les thèmes « culturels » (immigration, sécurité, défense des valeurs traditionnelles), en faveur des premières.

En matière économique et social, le contenu a singulièrement évolué, puisque l’on est passé d’une défense d’un libéralisme économique à la Reagan au début des années quatre-vingt, à une position dénonçant la mondialisation et se prononçant pour un protectionnisme économique au plan international, sans pour autant abandonner ses préférences plus libérales sur la scène intérieur. À la veille des élections de 2012, le FN revendique une intervention accrue de l’Etat, la défense des services publics contre l’austérité, le maintien des acquis sociaux, le développement de la demande, une plus grande progressivité fiscale. Le protectionnisme sur le plan international est renforcé, notamment avec l’Europe des nations et la sortie de l’euro.

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Marine Le Pen défend ainsi un discours national, populaire, axé sur l’emploi, la lutte contre le chômage, la détresse sociale, la défense du pouvoir d’achat, le sauvetage des emplois menacés par la mondialisation, la restauration des frontières : elle se fait, comme Bruno Mégret en son temps, le chantre d’un « nouveau protectionnisme » pour assurer la « renaissance de notre civilisation et le printemps de la France ». Il s’agit d’un nationalisme pragmatique : produisons français, avec des français, dans des entreprises françaises.

Ce discours peut avoir de l’écho parmi celles et ceux qui sont frappés par la précarité, la misère et qui considèrent le personnel politique actuel comme incapable de fournir une alternative crédible susceptible d’améliorer leur situation. Mais, au-delà du discours, que défend réellement le FN dans son programme ?

Il faut tout d’abord noter que la lutte contre l’assistanat et la fraude sociale, la critique de la décentralisation, l’hostilité à l’encontre des syndicats, le critère de la « préférence nationale » pour bénéficier des mesures de redistribution, ont été conservés et emballés dans un discours des « gros contre les petits » (artisans, commerçants, petits entrepreneurs, agriculteurs, ouvriers, employés).

Quatre exemples pour s’en convaincre :

Sur la revendication de retraite à 60 ans , le Front national propose 40 annuités de cotisation, une mesure financée par une baisse des cotisations chômage et l’exclusion de 3,5 millions d’étrangers du système. La CGT revendique pour sa part un taux de remplacement de 75 % au minimum égal au SMIC, un départ anticipé pour pénibilité, la prise en compte des années d’études et un financement par le plein-emploi et la réduction des inégalités salariales femmes/hommes.

Sur la revendication de hausse des salaires , le FN propose d’augmenter les bas salaires de 200 euros nets, le tout financé par une baisse des cotisations sociales, c’est-à-dire le même système que les exonérations Fillon et le CICE (jusqu’à 2,4 fois le SMIC).

Sur la fiscalité , le FN propose la suppression de l’ISF, le prélèvement à la source et la fusion de l’impôt sur le revenu, de la CSG, de la CRDS et des cotisations sociales salariales, l’unification de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale tandis que la CGT réclame la suppression des exonérations de cotisations sociales, une taxation plus forte du capital, une plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu.

Un dernier exemple, pour achever de se convaincre. Quelle attitude le FN a-t-il eu durant la mobilisation contre la loi « Travail »  ?

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Florian Philippot, tout comme Marine Le Pen, ont tout deux affirmé que leur parti s’est « battu dès la première seconde contre la Loi El Khomri » . Force est de constater qu’il a pourtant été largement silencieux durant le mouvement. Bien au contraire, plusieurs amendements ont été déposés par les sénateurs FN Rachline et Ravier pour la suppression du compte pénibilité, le doublement des seuils sociaux ou encore la limitation du « monopole syndical ». Si ces amendements ont été retirés à la demande de la direction du parti, il faut dénoncer le double discours tenu. Autre exemple, le 15 juin 2016, Marine Le Pen expliquait : « Je fais la part des choses entre la légitime contestation de la loi travail par les Français, que nous combattons depuis le premier jour et qui n’est que l’imbécile traduction de recommandations européennes  (…)  et l’action de ces hordes d’extrême gauche que personne ne devrait accepter de  voir  sévir sur notre territoire » , tandis que son compagnon Louis Aliot déclarait la veille, dans Le Journal du Centre , que « la grève est un système archaïque » .

Le FN est clairement un parti au service du patronat et non des salariés et son discours est opportuniste et cynique. Pour s’en assurer concrètement, il suffit de regarder ce qu’il se passe dans les mairies tenues par le FN. En voici quelques illustrations :

A Hénin-Beaumont, « vitrine municipale du FN », Steeve Briois a débuté son mandat en annonçant le retrait du local attribué à la Ligue des Droits de l’Homme.

Cyril Nauth, maire de Mantes-la-Ville, a interdit aux élus de gauche de déposer une gerbe à la mémoire de la déportation le 27 avril 2014.

Les premières mesures antisociales et d’austérité n’ont également pas non plus tardé. Au Pontet, le maire FN a supprimé la gratuité de la cantine scolaire pour les enfants de famille démunies, sous prétexte de « responsabiliser les familles » et d’économiser 30 000 euros, sur un budget municipal de 50 millions d’euros, tandis que d’autres mairies suppriment les subventions versées aux centres sociaux, comme à Fréjus, réduise le personnel comme à Baucaire, coupe clair dans les subventions à la culture et aux loisirs.

Les sorties sécuritaires se sont également multipliées. A Béziers, Robert Ménard est ainsi à l’origine de l’interdiction pour les mineurs de 13 ans de circuler la nuit, du lancement d’une « garde bitteroise » ou encore de l’armement de la police municipale.

Le Front national « premier parti de France » et « premier parti ouvrier de France »

Depuis l’élection présidentielle de 1995 et la proclamation du Front national comme « premier parti ouvrier de France », il existe un important débat médiatique et scientifique. L’hypothèse avancée est qu’une partie toujours plus importante de l’ancien électorat ouvrier de gauche passerait dans le camp de la protestation en votant Front national.

Ceci n’est évidemment pas anodin. Le vote des ouvriers, qui représentent encore 25 % des actifs sans compter les retraités, est important d’un point de vue numérique, mais également d’un point de vue symbolique.

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L’analyse sur le temps long démontre que depuis la fin des années 1970, on observe un recul spectaculaire du vote pour les partis de gauche parmi les ouvriers. En 1988, 60 % des ouvriers se prononçaient pour la gauche, contre 40 % en 2012. L’extrême-droite est pour sa part passée de 17,6 % à 30,9 %. Une analyse plus fine démontre que la montée en puissance de l’extrême-droite parmi les ouvriers s’est fait au sein de l’électorat ouvrier de droite, au détriment de la droite « classique ».

Contrairement à ce qui est brandi dans les médias, ce ne sont pas les ouvriers retraités de gauche qui vote désormais Front national, mais plutôt les nouvelles générations d’ouvriers qui, subissant de plein fouet la précarité, la déqualification, le chômage et la peur de la mondialisation, se tournent davantage vers la droite et l’extrême-droite.

Le Front national n’est pas aujourd’hui non plus le « premier parti de France », puisque l’abstention est clairement majoritaire. Les résultats lors des dernières européennes montreraient qu’« un électeur sur quatre » aurait voté FN (24,86 %). Pourtant, une lecture plus juste serait de considérer les inscrits (incluant donc l’abstention, les nuls et les blancs). Dès lors, le score du FN aux européennes de 2014 chute brutalement (10,12 %) et se retrouve en-deçà du fameux 1er tour de l’élection présidentielle de 2002 (11,66 %). La progression frontiste est certes élevée, mais il reste un parti marginalisé : 61 conseillers départementaux sur 4 108, 2 députés sur 577, 2 sénateurs sur 348, 15 communes sur plus de 50 000.

Il ne s’agit pas de nier le problème, mais de situer correctement les choses. Le Front national pesait déjà entre 10 et 20 % des votes dans les années 1980, et il a connu d’importants flux et reflux dans son électorat et parmi ses adhérents.

Toutefois, son discours actuel et l’écho médiatique que rencontrent ses dirigeants et son programme doivent être combattus pied-à-pied, en attaquant le mal à la racine, c’est-à-dire à la crise économique et sociale, terreau fertile qui alimente le racisme, la xénophobie, la peur de l’autre.

En conclusion. Quelle ligne syndicale ?

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Le programme de l’extrême-droite, l’écho médiatique et sa porosité avec la droite et la gauche « classique » (songez à la gestion des réfugiés politiques ou à la déchéance de nationalité) doivent être combattus pied-à-pied. Il ne faut rien laisser passer, que ce soit au travail, en famille ou avec ses amis.

Le programme de l’extrême-droite, économiquement favorable au patronat et socialement fondé sur la division, le rejet de « l’autre », doit être attaqué à la racine, c’est-à-dire à la crise économique et sociale, ce terreau fertile qui est labouré mois après mois par la bourgeoisie et ses relais médiatiques.

La politique, comme la nature, a horreur du vide ! Si le mouvement syndical n’apporte pas des perspectives en termes d’organisation, de luttes et de revendications qui soient saisissables par les travailleurs et notamment la jeunesse, cette situation ne peut que s’aggraver.

Face à cela, il ne faut pas être fataliste, mais être convaincu – et convaincant – qu’une autre voie est possible. Il faut débattre avec les salariés, les syndiqués, en étant fermes sur nos principes, mais souples dans les discussions, de manière à faire comprendre que l’extrême-droite n’est pas une solution pour les travailleurs.