Du 22 au 30 juin 2015 a eu lieu le 13ème anniversaire du squat Evagelismos, à Heraklion, la principale ville de Crête, en Grèce. Au cours de cette semaine de festival anarchiste, entre un atelier sur la cryptographie et une discussion publique sur les zones à défendre et les luttes du territoire, nous avons pu rencontrer les antifascistes locaux et les interviewer sur leur action, la situation du pays, et ainsi entrevoir la réalité de l’action antifasciste au quotidien en Grèce.

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La Horde : salut, tu peux nous dire quelques mots à propos de l’antifascisme en Crête ?

Salut ! Tout d’abord en Grèce, beaucoup de gens font de l’antifascisme, il n’y a pas que des groupes. Ici, il n’y a pas de groupe organisé, car il n’y a pas d’actions fascistes, donc pour l’instant il n’y a pas besoin de faire un groupe antifa et des actions antifascistes. Par le passé, on a mené des actions antifascistes qui ont permis d’empêcher les fascistes d’avoir une action quotidienne dans la ville.

En Crête, on avait un grand groupe antifasciste pour l’ensemble de l’île (Antifa Crête). Il a organisé des actions antifascistes quand il y avait besoin, quand quelque chose se passait au niveau de l’antifascisme. Ce groupe est un peu une légende, un mythe qui continue encore aujourd’hui d’être présent dans toutes les têtes, dans la façon dont il est perçu. Mais il n’y a pas d’activités structurées quotidiennement, parce qu’il n’y a pas la nécessité de réagir, en l’absence d’activités fascistes.

A Heraklion, on a commencé à faire des actions en 2008, avant d’avoir un groupe : informations sur les fascistes, et faire du lien avec d’autres antifascistes. De 2008 à 2012, les organisations fascistes ont essayé de prendre la rue à Heraklion, et de s’organiser. Donc un gros travail d’information a été fait : photos, renseignement, pour savoir qui ils sont.

Nous avons faits des actions d’information mais aussi des actions directes contre eux, ce qui a permis de prendre l’avantage sur eux.
En 2012, nous avons attaqué leur local, loin du centre-ville. Leur local était à côté d’un poste de police et c’était très difficile de s’attaquer à ça. Après ça, leur présence en ville a diminué. Ces actions directes, ça a permis de les calmer et aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de problèmes avec eux, ils sont obligés de se cacher, ils ne diffusent plus de tracts, ne viennent plus en ville. C’est grâce aux actions antifascistes.

LH : quand vous faites des actions antifascistes, comment vous vous organisez, est-ce qu’il y a une assemblée antifasciste par exemple ?

Quand il y avait besoin de faire une action antifasciste, par exemple contre un rassemblement ou une manif de fachos, on se réunissait pour parler des actions que l’on peut faire contre eux, et pour écrire un texte. Cela nous amène à prévoir une action. Il y a une coordination large, comme une plateforme, pour faire des actions antifascistes, mais il y a aussi des actions plus autonomes, en petits groupes. Le groupe le plus petit, le plus autonome, est là pour des actions plus violentes, mais il prend en considération les conséquences pour le plus grand groupe.
En Crête en général il n’y pas de structures spécifiques pour l’antifascisme, car il y a beaucoup d’anarchistes et il n’y a pas besoin de faire des groupes antifascistes. Mais nous pensons que c’est quand même bien d’avoir un groupe pour faire un travail d’information continu.
Il y a une différence ici en Crête par rapport à d’autres villes en Europe. Cette façon de s’organiser est aussi présente à Athènes. En général, on a aussi, où l’on essaye d’avoir, des infos précises : noms, adresses, photos, lieux de travail. Comme ça s’ils se passent quelque chose (agressions, attaques néonazies,...), on peut savoir qui est impliqué . Les anarchistes ne sont pas très organisés dans ce sens et c’est une limite de notre organisation.

LH : est-ce que vous avez des liens avec d’autres groupes et réseaux en Grèce ?

Chaque année, en février, les fascistes ont un gros rassemblement ’Imia’ (Imia est une petite île proche de la Turquie) . Alors beaucoup d’antifascistes de toute la Grèce se retrouvent pour contrer le rassemblement.
Les groupes sont en général autonomes, il n’y a pas de coordination "nationale" pour toute le Grèce. A Athènes, les groupes sont plus organisés, car l’activité fasciste est plus forte que dans le reste de la Grèce. Mais il y a beacoup de soutien mutuel entre les groupes de différentes villes.

LH : est-ce que vous avez des liens avec d’autres groupes, au niveau international, et notamment en Turquie et dans les Balkans ?

A Heraklion, il n’y pas de liaisons avec d’autres pays. A Athènes, quand il y a des manifestations antifascistes, beaucoup d’immigrants participent à ces manifs, et plus généralement au mouvement anarchiste et aux actions du mouvement. Par exemple, il y a 2 groupes antifascistes de migrants, dans des quartiers différents, pour contrer les activités fascistes.
Mais en général la Crête n’a pas de liens avec la Turquie et les Balkans.

LH : est-ce que tu peux nous parler de la situation avec Aube Dorée en Crête, et en Grèce.

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On va parler généralement d’Aube Dorée en Grèce : l’organisation est très hiérarchique et centralisée depuis Athènes, c’est Athènes qui donne des ordres à chaque petit groupe. Aube Dorée existe en tant qu’organisation depuis plus de 30 ans, et elle n’a jamais été très nombreuse auparavant.
L’action d’Aube Dorée n’est pas tellement autour de l’information, mais plus pour mener des actions violentes contre les immigrés et les anarchistes. Mais avant ils n’étaient pas nombreux, c’est pour ça que leur action était limitée. Aujourd’hui, ils utilisent toujours la même méthode, c’est toujours eux qui font le sale boulot du gouvernement. Ils changaient souvent de membres car leur ligne est très autoritaire, très hiérarchique, et ça fait que dès qu’un membre désobéit, ou ne respecte pas à la lettre près la ligne, il est viré d’Aube Dorée.
En 2010 et 2011, ils ont commencé à être intégrés au pouvoir, ils ont changé leur ligne politique, ils se sont aidés socialement, et ont commencé à faire du travail d’information. Ils se sont faits des sympathisants par l’action sociale, en aidant les personnes agées, les grecs en difficulté. Ils se sont rapprochés des gens, mais ça n’a pas fait diminué les actions violentes. Son action est toujours soutenue par le gouvernement et par la police.
De 2010 à 2012, il y a beaucoup de mouvements sociaux, grèves, manifestations,... Dans cette période là, Aube Dorée est devenu un plus grand parti, plus présent socialement. Ils se sont positionnés contre les grandes manifestations. Le gouvernement, pour contrer ce mouvement social, a répondu en envoyant Aube Dorée contre les manifs, car il avait peur de se faire dépasser. Le gouvernement les a laissé agir en toute impunité contre les manifs. Ça a permis à Aube Dorée d’être plus libre et autonome dans son action. Et alors ils ont eu le pouvoir politique de s’opposer au gouvernement et de tracer une ligne, une limite, entre eux et le gouvernement. Ils sont devenus hors de contrôle pour le gouvernement. A cause de ça, Samaras et le gouvernement ont commencé à s’attaquer à eux, à être contre les fascistes, et ont du utiliser les médias et les informations pour discréditer Aube Dorée dans l’opinion publique. Une grande partie des électeurs et membres d’Aube Dorée ont construit des relations sociales avec la police.
Maintenant on ne sait pas quelle va être son action, on a pas d’idées, ou d’images, d’eux, après leur emprisonnement. Ils restent actifs dans/pour le gouvernement.
On doit se tenir prêts car c’est possible qu’Aube Dorée revienne plus forte et plus autonome avec la situation politique actuelle. Je crois que que nous allons vite arriver à des affrontements armés avec l’Aube Dorée.

LH : tu peux nous expliquer dans quel lieu nous nous trouvons ?

Nous sommes à Evagelismos, un squat politique ouvert depuis le 16 mai 2002, utilisé par le mouvement pour l’habitation, plusieurs collectifs (sur différents champs de lutte) sont présents. Heraklion est plutôt une petite ville et tout le monde se connait ici. Alors c’est un point de convergence, d’information, d’actions,... On veut que ce lieu devienne plus politique, avec plus d’activités. On a la volonté que les gens qui vivent ici aient une action politique.

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LH : ce samedi 27 juin 2015 a eu lieu la première LGBTQI Pride à Heraklion et en Crête. Quel est le lien avec les antifascistes ?

Le groupe LGBTQI qui a organisé la pride existe seulement depuis quelques mois, alors on les soutient et on était présents. On a pas encore eu le temps de créer une liaison politique forte avec ce groupe. Avant ces personnes n’avaient pas d’actions politiques à Evagelismos.
Nous ne voulons pas non plus construire cette représentation où les antifascistes "protègent" les LGBTQI. On veut avoir une relation politique forte avec ce mouvement, mais tous ensemble dans la lutte antifasciste.

LH : comment avez-vous réagi ici à Heraklion quand Pavlos Fyssas a été assassiné par les nazis ?

A ce moment là, des grandes manifestations ont eu lieu dans toute la Grèce. Ça a été une défaite pour le mouvement. Ici à Heraklion on a fait une manifestation de 1000 personnes jusqu’aux locaux d’Aube Dorée, on s’est battu avec la police devant leur local. Et ça, ça s’est passé dans toute la Grèce. L’événement le plus fort ça a été l’exécution de 2 membres d’Aube Dorée en revanche, mais ça a divisé le mouvement anarchiste. Les affrontements et les attaques contre Aube Dorée ont duré quelques jours et après la situation est revenue à la normale.

LH : tu peux nous donner un exemple d’action antifasciste à Heraklion de ces dernières années ?

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Un jour en 2012, Aube Dorée est venue diffuser des tracts et nous les avons confronté et ils ont du partir. Ça a été une première et importante victoire collective. On était des anarchistes et des gens de gauche, on était environ 70 personnes, et eux 30. On les a attaqué à 25 personnes et eux ont répondu à 20. La police les a laissé faire, en croyant qu’ils allaient l’emporter, et quand ils ont vu que la situation n’était pas à l’avantage d’Aube Dorée, la police est intervenue et a gazé les antifascistes pour les dégager de la place. Aucune arrestation a eu lieu. C’était la première et la dernière fois qu’ils sont venus distribuer des tracts à Heraklion.

[à ce sujet, voir aussi l’article sur Contra Info]

Merci de nous avoir consacrer du temps ! Bonne continuation !

Envie d’en savoir plus, notamment au niveau historique ? On vous conseille la lecture (en anglais) de l’excellent article de Linksunten Indymedia à propos de l’occupation nazie de la Crête pendant la seconde guerre mondiale.