Face au caractère exceptionnel des attentats qui ont frappé Paris et ébranlé la France entière le vendredi 13 novembre, ils vont être nombreux ceux qui, jouant sur la peur et l’incompréhension que cette situation suscite, prétenderont l’avoir prophétisée et voudront imposer leurs solutions xénophobes et sécuritaires. Pour ce qui nous concerne, nous avons peu de certitudes, mais nous voyons bien qu’un certain nombre d’évolutions inquiétantes, observées avant même les attentats, vont probablement s’accélérer, laissant présager un avenir plutôt sombre, non seulement pour la lutte antifasciste et antiraciste, mais plus largement pour le climat social en France.

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La première, c’est la libération de la parole raciste et la banalisation de l’extrême droite dans l’espace public. Il est notable que les réactions les plus radicales sont venues des rangs de la droite dite « de gouvernement » incarnée par les Républicains, exacerbant les peurs pour les diriger vers les réfugiés et les musulmans. Nadine Morano, qui avait parlé de la France comme d’un « pays de race blanche » en septembre dernier, considère les migrants comme d’une « armée de jeunes hommes qui arrivent en Europe », assimilant la vague migratoire actuelle à une offensive militaire ; Laurent Wauquiez, secrétaire général des Républicains, et Eric Ciotti, conseiller en sécurité de Sarkozy, prônent l’enfermement de toutes les personnes soupçonnées d’islamisme radical par les services de renseignement (environ 4000 personnes) dans des « centres d’internement »… Du côté du Front national, à quelques exceptions près, on garde un profil bas, « respectable », car l’enjeu pour le parti de Marine Le Pen aujourd’hui n’est plus de se faire remarquer, mais d’apparaître suffisamment responsable pour diriger le pays, dans la perspective des élections de 2017. Ainsi, quand François Hollande reçoit dimanche 15 novembre tous les dirigeants de partis politiques, y compris Marine Le Pen et ses lieutenants Florian Philippot et Nicolas Bay, mais aussi un souverainiste, Dupont-Aignan, qui s’était illustré dernièrement par ses propos racistes sur les migrants, il reconnait au FN le statut de parti « comme les autres ». Quand le FN annonce suspendre sa campagne électorale (comme le Parti socialiste), alors même que les élections sont maintenues, il fait d’une pierre deux coups : il reste « décent », tout en étant sûr de récolter au final les fruits électoraux du climat de peur actuel. De son côté, l’extrême droite radicale, en particulier les Identitaires, lui rendent service en jouant les trublions, rôle naguère dévolu au FN : heureusement, lors de leurs tentatives pour perturber des hommages rendus à Lille, Lyon et Metz, la poignée de militants venus crier leur haine de l’étranger a dû à chaque fois partir sous leurs huées des gens rassemblés en hommage aux victimes. Quoiqu’il en soit, le FN a besoin d’eux, et saura probablement les récompenser, pour assurer l’agitation raciste que sa nouvelle stratégie ne lui permet plus d’assurer.

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La seconde, c’est l’atteinte aux libertés que le climat sécuritaire actuel va favoriser. Dès avant les attaques de Daech, des contrôles renforcés avaient été mis en place aux frontières, pour bloquer la venue de militants écologistes radicaux venus manifester à l’occasion de la COP21. Avec la mise en place de l’état d’urgence, toutes les manifestations publiques ont été interdites pour au moins les six prochains jours à Paris. Cette volonté d’éviter tout rassemblement, aussi bien commémoratif que revendicatif, et les autres possibilités que l’état d’urgence donne potentiellement au gouvernement (restreindre la liberté de la presse, instaurer des couvre-feux, etc .) répond autant à des impératifs sécuritaires que politiques, car « l’unité nationale » ne peut pas être éprouvée par les faits, aucune voix discordante ne pouvant s’exprimer librement. Les différents rassemblements spontanés qui ont eu lieu ce week-end dans la capitale montrent certes les limites de cette position de principe, mais les mouvements de panique qui les ont accompagnés risquent de la faire paraitre légitime.

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Enfin, c’est la difficulté que les luttes sociales et de solidarité vont rencontrer, alors même qu’elles étaient déjà difficiles à mener. Face à la surenchère de paroles racistes propagées par l’extrême droite et les conservateurs, face aux mesures sécuritaires à venir par lesquelles le gouvernement prétend protéger la population, nous aurons à trouver des réponses appropriées et audibles par toutes et tous. La plus urgente, c’est la solidarité avec les migrants et les réfugiés qui fuient la terreur de Daech dans leurs pays, sans omettre la responsabilité des pays occidentaux dans la guerre. Ensuite, nous devons accompagner les revendications de dignité des habitants des quartiers populaires, trop souvent traités comme des citoyens de seconde zone. Enfin, nous lutterons toujours pied à pied contre l’extrême droite, quels que soient les partis ou les individus qui diffusent ses idées. Aucune déclaration, aucun soi-disant « dérapage » ne seront oubliés : pas d’excuse pour les politiciens qui croient pouvoir se faire élire en attisant la peur des gens. Nous ne nous laisserons pas diviser, ni par les islamistes de Daech, ni par l’extrême droite islamophobe et xénophobe, et nous défendrons toujours l’idée d’une société ouverte dans laquelle, avec ou sans-papiers, français ou migrants, nous voulons vivre et lutter pour la défense de nos droits et de nos libertés.
La Horde