Construire un « nous » populaire

Ce texte de René Monzat, journaliste 
et militant antifasciste, spécialiste de l’extrême droite depuis de très nombreuses années, avait été publié dans L’Humanité le 24 mars, dans un article intitulé "Quelle réponse politique face à l’ascension nationale-populiste du FN ?". Il propose une analyse intéressante des enjeux qui sont posés à la gauche à la fois dans son combat face à ses ennemis identitaire et libéral, mais surtout dans la nécessité pour sa survie de porter un projet de transformation radicale de la société.

sorcière

La partie, en France comme en Europe, se joue entre trois courants fondamentaux. D’abord, les identitaires, pour qui l’acteur de l’histoire est constitué par un groupe défini par des différences ethniques ou culturelles héritées, servant de fondements à une inégalité à préserver. La volonté politique du «  peuple  » est déléguée par plébiscite aux chefs populistes-identitaires. Ils jouent le clash des civilisations entre une Europe blanche judéo-chrétienne et un islam, ennemi tant extérieur qu’intérieur. En deuxième lieu, les libéraux, pour qui l’histoire est un théâtre sans acteurs. Le marché tient lieu de projet, les inégalités se produisent naturellement, la démocratie ne doit pas entraver le marché. L’Europe est une zone de libre-échange atone. Et enfin, les «  éco-socialistes  », qui s’identifient à un «  peuple  » construit dans la mobilisation des catégories sociales subordonnées, qui défendent un projet d’émancipation, d’égalité, de démocratie, un projet européen de maîtrise collective de l’évolution sociale.

Ce qui était appelé gauche explose actuellement entre ces trois logiques : l’achèvement de la mue libérale entamé quand, en disant : «  l’État ne peut pas tout  », Jospin signifiait : «  Personne ne peut rien devant la loi du capital  » ; un ralliement sous une rhétorique laïque ou féministe à la poussée identitaire ; et, la très difficile construction d’une alternative éco-socialiste par le Front de gauche, la gauche radicale. Une configuration potentiellement majoritaire se fait jour dans laquelle un bloc d’idéologie identitaire occidentaliste réussit à regrouper une large fraction des couches populaires contre les ennemis non blancs, non catholiques ; un courant libéral dévoué aux intérêts du capital échange du sécuritaire en direction du bloc identitaire contre un soutien politique afin de rester au pouvoir. Libéraux et identitaires restent distincts car seul le maintien affiché d’une tonalité sociale et antilibérale des courants identitaires leur permet de bénéficier d’un soutien de couches populaires.

Face à ces évolutions, les courants partisans d’un éco-socialisme ne survivront en tant qu’acteurs nationaux et européens qu’à condition d’affirmer une forte volonté politique et une forte personnalité idéologique. Ces courants devront assumer des batailles idéologiques, dans la société dans son ensemble, mais aussi au sein même de la «  gauche  ». La première, l’égalité et la volonté politique s’opposant au marché, est une bataille contre le bloc libéral. Elle ne peut se mener en alliance avec les identitaires. La seconde, l’égalité au lieu de l’apartheid, est une bataille contre les identitaire qui ne peut se mener avec le Medef. Ces courants devront «  construire  » le peuple. C’est-à-dire construire dans l’action un «  nous  » politique pour une transformation sociale radicale et égalitaire de la société et non un «  nous  » identitaire construit dans l’apartheid vis-à-vis des autres. Construire ce «  nous  » populaire est la seule possibilité de regagner les fractions du peuple basculant à droite. Cela implique donc de mener la bataille culturelle vis-à-vis des adaptations «  de gauche  » au repli identitaire, celles qui exigent de pérenniser l’apartheid politique et social de la gauche vis-à-vis des organisations musulmanes, et qui soutiennent les mesures d’exclusion de femmes pieuses de l’université ou du marché de l’emploi. L’acceptation des politiques d’austérité, les compromissions avec les enjeux identitaires et l’acceptation de l’apartheid, plus que des fautes morales, sont des erreurs politiques qui facilitent le basculement des couches populaires vers les populistes xénophobes.

Que l’extrême droite n’ait plus de beaux jours devant elle, cela dépend de nous.
René Monzat