Suite au scandale provoqué par la provocation islamophobe d’un élu RN au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, nous vous proposons un article du chercheur Stéphane François publié sur le site Fragments sur les temps présents, qui traite du rôle grandissant de l’islamophobie dans les discours et pratiques de l’extrême droite. En voici un extrait, premier d’une série publiée tout au long de la semaine à venir.

Aux élections présidentielles françaises de mai 2017, le Front national, aujourd’hui Rassemblement national, a montré sa puissance, malgré une campagne laborieuse de sa présidente Marine Le Pen. Fort de 33,94%, de huit députés, dont sa présidente Marine Le Pen, et d’un sénateur, il est devenu un parti important dans la vie politique française – il avait également une sénatrice au printemps 2018, mais celle-ci a quitté le parti après avoir été sanctionné pour avoir comparé les migrants aux nazis et à de la « vermine ». Ce succès découle pour partie de la stratégie de Marine le Pen, qui a insisté sur le refus de l’« islamisation de la France », reprenant la thématique théorisée par la mouvance identitaire depuis le début des années 2000. Cependant, cette thématique, si elle est développée depuis longtemps par l’extrême droite, rejoint aujourd’hui les préoccupations d’une partie importante de l’opinion publique française.

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Campagne du FNJ en 2010, en PACA.

En effet, il est de plus en plus fréquent de lire ou d’entendre des propos qui font de l’Autre, l’étranger, le migrant une personne forcément criminelle. Si ce thème est ancien, la revue Europe-Action , fondée par l’activiste Dominique Venner dans le sillage de la fin de la guerre d’Algérie, affirmait déjà que l’immigré algérien était à l’origine des viols et des agressions alors commises en France, il entre aujourd’hui en résonance avec les préoccupations d’une partie de l’opinion publique française.

Le Rassemblement national conçoit le « peuple français » comme une ethno-nation, c’est-à-dire comme une entité des personnes d’origine européenne, de nationalité française et de culture « pagano-chrétienne ». Mais ce terme renvoie aussi à son autre sens, c’est-à-dire à la classe ouvrière, ou plus largement aux classes populaires, précarisées par la mondialisation. Ces catégories sont des cibles électorales pour ce parti, qui d’ailleurs votent de plus en plus massivement pour lui. De fait, depuis l’accession de Marine Le Pen à la tête du Front national, le discours s’est infléchi dans une direction plus « populiste » : elle ne cesse d’insister sur son rôle de défenseuse du peuple contre la mondialisation, les délocalisations et les partis de gouvernement (tant de gauche que de droite) qui l’auraient trahi. Le « populisme » est une idéologie qui se caractérise par un discours de défense du « peuple » contre ses « ennemis » : les élites, les étrangers, l’islam notamment. Depuis le changement de président, ce parti cherche à se positionner comme le « parti du peuple », en s’arrogeant le rôle de porte-parole des classes populaires et des classes moyennes menacées de déclassement, de paupérisation, et par le « grand remplacement », c’est-à-dire par une supposée substitution ethnique et culturelle, les populations européennes étant remplacées par des populations extra-européennes de confession musulmanes.

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Campagne de Marine Le Pen pour les présidentielles de 2017.

Le mot populisme est un terme polysémique qui doit être analysé comme une réaction contre les « élites » du pays, forcément cosmopolites, voire immigrationnistes, et surtout déconnectées des préoccupations du peuple. En ce sens, il s’agit de l’utilisation par un parti extrémiste d’un malaise dans le système représentatif. Ce populisme a été la marque de fabrique de Jean-Marie Le Pen qui lui a donné ce style si particulier en France, insistant sur des questions importantes (immigration, insécurité, chômage, critique de l’Europe, identité – nationale ou régionale –, etc.) dans un registre provocateur et agressif. Ainsi, dès 1997, il affirmait « Notre alternative est populaire, certains disent même populiste, et nous n’avons pas honte. Bien au contraire nous en sommes fiers » [1]. Le tournant réellement populiste du Front national est à dater de la chute du système soviétique, provoqué par le renouvellement de sa sociologie électorale, c’est-à-dire par l’adhésion d’une partie de l’électorat populaire à ses thèses. En effet, ce parti a commencé à séduire le monde ouvrier à partir de 1986 (entre 1984 et 1986, la part de vote ouvrier pour le Front national est passé de 8% à 19%), avant de l’attirer massivement à compter de 1995.

Le populisme du Front national, puis aujourd’hui de son successeur le Rassemblement national, procède d’une révolte contre le partage des acquis sociaux durement obtenus sur le long terme avec de nouveaux venus – les immigrés –, estimant qu’ils ne les méritent pas. Il s’agit d’une volonté très claire de garder les bienfaits de l’État-Providence français pour les Français de « souche », les Français ethnique (en fait « blancs »). Ce discours rencontre un grand écho dans les milieux ouvriers déstabilisés par la concurrence des travailleurs étrangers et l’amenuisement des ressources de l’État-providence. Cette forme de populisme, de « populisme néojacobin » pourrions-nous dire, rejette donc la solidarité entre des membres d’une société disparate, éclatée.

À suivre ou à retrouver en intégralité ici

Notes

[1Jean-Marie Le Pen, « discours de clôture », Xème congrès du Front national, Strasbourg, 29-31 mars 1997.