L’auteur de l’attentat islamophobe de Bayonne, qui a failli coûter la vie à deux personnes et détruire par le feu une mosquée à Bayonne, n’est pas considéré comme terroriste par les autorités judiciaires, tandis que la plupart des médias insistent sur « l’isolement » de cet octogénaire, qu’on nous présente comme « incohérent » et « perturbé ». Et pourtant, il s’agit bien un acte politique prémédité, préparé par un ex-militant du FN nourri des délires islamophobes du « prédicateur » Zemmour, encouragé par des théories du complot relayées par des responsables de partis institutionnels et un climat délétère hostile aux musulman·e·s…

Bien qu’elles aient été largement diffusé dans la presse, il n’est peut-être pas inutile de revenir en détail sur les circonstances et le profil de celui que, s’il avait crié « Allahu akbar » au moment des faits, tout le monde s’accorderait à qualifier de terroriste, mais que l’on nous présente comme un vieux gâteux déséquilibré, sculpteur amateur et écrivain à ses heures perdues…

Claude Sinke
Claude Sinké

Pourtant, ce n’est pas sur un coup de tête que Claude Sinké est venu dans l’intention de commettre un attentat, puisqu’il avait, selon ses propres dires, « pris soin de repérer à de nombreuses reprises la mosquée ». Non seulement il dispose de plusieurs armes chez lui, se rend sur les lieux armé d’un fusil avec lequel il tire sur un homme assis près de la mosquée, puis à deux reprises sur le conducteur d’un véhicule qu’il incendie, puis avec laquelle il braque les policiers venus l’interpeler, mais en plus, il a dans sa voiture une bonbonne de gaz !

Son acte est par ailleurs clairement revendiqué, motivé par la volonté de « venger Notre-Dame », une idée qui peut sembler saugrenue si, lors de l’incendie de la cathédrale de Paris, les réseaux sociaux n’avaient pas été envahi de fake news parlant « d’attentat » ou de « vengeance », sous-entendu d’islamistes. Parmi celles et ceux qui ont colporté ces insinuations, des responsables politiques comme le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, ou Philippe Karsenty, contributeur au site Causeur et conseiller municipal apparenté LR à Neuilly, qui avait déclaré « bien sûr, le politiquement correct va vouloir nous faire croire que c’est un accident ». Sinké lui même se dit un grand admirateur d’Eric Zemmour, qui avait lui aussi fait courir la rumeur d’un incendie intentionnelle de Notre-Dame, et dont les diatribes islamophobes se répandent depuis des années aussi bien dans les journaux, à la radio ou à la télé que sur internet…

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Le 29 septembre dernier, Sinké envoie un texte à la presse dans lequel il clame sa haine des musulmans. On nous dit que le texte serait trop confus, trop décousu pour être pris au sérieux, qu’il ne fait pas explicitement référence à l’attaque d’une mosquée : mais le manifeste de Brenton Tarrant, qui tua 51 personnes lors de son attentat contre deux mosquées de Christchurch en Nouvelle -Zélande le 15 mars dernier, ne brillait pas non plus par sa cohérence, et mêlait lui aussi complotisme et islamophobie…

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De même, on nous présente le suspect comme un homme isolé, mais quand même suffisamment sociable pour être connu comme le loup blanc pour ses déclarations racistes : « Il faisait parler de lui et jamais en bien. Il venait importuner les agents de la mairie, les menacer de porter plainte, d’aller au tribunal…  » a déclaré l’ancien maire de Saint-Martin-de-Seignanx à la presse. Et pourtant, aucun responsable politique, pas même Emmanuel Macron, pour nous parler d’une « société de vigilance » sur les propos racistes, pour « agir contre l’hydre » islamophobe ! Et pour cause : le racisme anti-musulman est partout, jusque dans les rangs du Sénat… Que penser des médias qui enchaînent, sans sourciller, un sujet sur l’attentat de Sinké et un « débat » sur les mamans voilées qui seraient à bannir des sorties scolaires ? Combien de fonctionnaires resterait-il dans la police nationale si devait si devait s’appliquer la mise à l’écart de celles et ceux qui se radicalisent à l’extrême droite (44% d’entre eux déclarant récemment voter pour Marine Le Pen), comme cela a été le cas pour certains policiers musulmans ?)

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Claude Sinké avec Marine Le Pen, en 2015. [Photo : Sud-Ouest]

Enfin, ce n’est pas il y a dix ans, mais quatre seulement, qu’il comptait parmi les candidats du Front National pour les élections départementales de 2015. Il ne semble pas, du moins si on en croit la photo ci-dessus prise avec Marine Le Pen, particulièrement isolé… Que doit-on déduire du fait qu’aucun de ses colistiers n’ait rien signalé durant la campagne ?

Et d’ailleurs, Claude Sinké n’est pas le seul retraité de la région à la fois armé et la tête farcie d’idées de l’extrême droite la plus radicale. En 2017, la résidence de Dominique et Richard Gillet, proches de la Ligue du Midi de Richard Roudier, avait été perquisitionnée : la police les soupçonnait d’être liés à un trafic d’armes, mais n’avait trouvé chez eux que des armes déclarées… comme l’étaient celles de Claude Sinké. Au total, ce sont quand même cinq personnes proches de l’extrême droite qui se retrouvent interpellées pour avoir achetés des armes sur internet (la presse parle même d’un « petit arsenal ».

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Dominique Gillet

Précisons au passage que Dominique Gillet est la secrétaire de l’association islamophobe Vigilance Halal, présidé par Alain de Peretti Della Rocca dont on avait parlé ici. C’était aussi une fidèle de Riposte laïque et de Résistance républicaine, qui à l’époque lui avaient apporté son soutien, et qui aujourd’hui justifient l’attaque de Sinké : Christine Tasin estime ainsi que Sinké « voit clair et a pété les plombs  », et que « c’est parce qu’il n’y a pas d’islamophobie d’Etat que Claude Sinké a tiré », et que « c’était parce qu’il n’y avait pas assez d’islamophobes qu’il y avait des attentats contre des mosquées », tandis que Pierre Cassen ironise sur le drame en disant qu’il faut au plus vite interdire le jambon de Bayonne…

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Ces dernières années, dans d’autres régions, des regroupements de individus racistes, souvent retraités et radicalisés sur internet, et prêts à passer à l’action, avaient été ciblés, comme l’Action des forces opérationnelles (AFO), en Charente-Maritime, ou l’OAS dont nous avions parlé ici. En Allemagne, aux États-Unis ou ailleurs, on parle sans détour de terrorisme d’extrême droite meurtrier, comme nous l’avions récemment rappelé ici, quand bien même les auteurs des attaques seraient des « loups solitaires », dont les actes d’ailleurs se répondent. En France, on préfère regarder les choses par le petit bout de la lorgnette, sans jamais s’interroger sur les conséquences possiblement mortelles de la stigmatisation ad nauseam d’une partie de la population en raison de sa pratique religieuse, réelle ou supposée.
La Horde