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Le vendredi 28 novembre dernier, Etienne Chouard a publié sur son site un article intitulé "que les choses soient claires" dans lequel il revient (longuement) sur les "persécutions" dont il aurait été victime de la part des "antifas" pour avoir à plusieurs reprises relayer des textes ou renvoyer vers des sites liés à l’extrême droite. Après un long plaidoyer pour s’en justifier, il finit pourtant, et c’est la première fois, par reconnaître s’être trompé sur Soral, après avoir vu un extrait d’une vidéo du gourou d’Egalité & Réconciliation de juin 2014 dans lequel il opposait le virilisme aryen de Poutine à la soumission typiquement "sémite" du journaliste Jean-Pierre Elkabbach. Choqué par le sexisme et l’antisémitisme assumés de Soral, Chouard décide donc de supprimer le lien vers E&R qui était sur son blog depuis plus de trois ans. Le lendemain, dans un nouvel article, il estime sa décision "exagérée", décide finalement de rétablir le lien, avant de finir par supprimer tous les liens sur son blog quelques heures plus tard, et d’annoncer qu’il va s’éloigner quelques temps. Ce psychodrame virtuel n’est pas que le reflet de l’égocentrisme pathétique de son protagoniste : il est aussi révélateur de ce qui se passe lorsque, par naïveté ou aveuglement, volontaire ou non, on tente de faire comme si l’extrême droite n’existait pas.

Quoiqu’en dise Chouard, rares sont celles ou ceux qui le considèrent comme un "fasciste", ou même un soralien, car de toute évidence, il n’est ni l’un ni l’autre : partisans d’une démocratie intégrale, il est aux antipodes de toute forme d’autoritarisme et ou de racisme, et il s’est à plusieurs reprises prononcé sur ces questions. Mais il se trouve que justement, ce n’est pas ce qu’on lui reproche...

Les problèmes que posent Chouard, d’un point de vue antifasciste, ce sont sa tolérance à l’égard des idées racistes, sexistes, autoritaires ; son ignorance volontaire des groupes actifs, organisés qui portent ces idées ; enfin, son mépris des victimes de ces idées, d’hier et d’aujourd’hui. Cela ne fait pas de lui un "fasciste", évidemment, mais un allié objectif de toutes les structures et individus qui revendiquent de façon plus ou moins assumée une vision inégalitaire du monde présentée comme "naturelle", et la désignation d’ennemis héréditaires à éliminer pour la défendre. C’est ce qui lui est répété depuis le début, et qu’il refuse d’entendre.
Tolérance ou naïveté ?
La liberté d’expression a bon dos : car elle est toujours invoquée pour défendre la parole de celles et ceux qui l’ont déjà, mais dont le discours est intolérable, précisément parce qu’il refuse à certains le même droit à l’existence qu’aux autres, en les diminuant (sexisme, racisme) ou en leur imputant tous les maux de la terre (antisémitisme, islamophobie). Comme par hasard, Chouard ne s’émeut pas de l’absence ou presque de la parole des opprimés sur internet, mais se scandalise en revanche qu’on lui reproche de faire de la pub à un Soral qui suroccupe cet espace virtuel.

Chouard_E&R

Mais dans le cas de Chouard, comme chez tous ceux qui pensent avoir trouvé "la" solution à tous les problèmes (il pense être le seul à porte un projet de "démocratie vraie"), la vanité est pour beaucoup dans cette défense inconditionnelle de ses « ennemis » politiques : ainsi, Chouard ne comprend pas que son idée de tirage au sort n’ait pas été reprises par tous les médias, que tout le monde n’ait pas reconnu son génie [1]. Aussi, dit-il, " lorsque je constate qu’un parti ou un journal ou une radio ou un site quel qu’il soit relaie ma prose radicale d’émancipation par l’auto-institution de la société, je ne peux y voir que des raisons d’être satisfait : mon message est universel, il n’est pas réservé à une famille politique ." Un public, même aux antipodes de son discours, c’est toujours un public !

Il va même plus loin. Car qui sont selon lui les militants d’extrême droite à qui il s’adresse ? Des démocrates qui s’ignorent. " je suis sûr (je l’ai ressenti souvent, nettement) que nombre de ces jeunes militants (de droite dure au début par dépit de la corruption généralisée et faute d’alternative autre — processus identique à la naissance du nazisme en Allemagne) sont en train de devenir (ou sont déjà devenus) des démocrates réels. " Sans commentaires…

Mais la liberté d’expression a quand même des limites : s’émouvoir de retour conquérant des ennemis de la liberté, tenter d’en entraver la progression, voilà qui est suspect aux yeux de Chouard, qui n’est pas loin d’y voir un complot mené par on ne sait qui. Aussi le problème n’est pas le racisme, selon lui une idée comme une autre, portée par des gens qui peut-être se trompent mais s’inscrivent dans le champ démocratique, mais l’antiracisme, " qui fabrique une race des « racistes », sorte de sous-hommes à combattre en toute matière pour cause de péché impardonnable, de crime de la pensée ". Par ce procédé réthorique bien connu de renversement de la cause et de la conséquence, notre démocrate n’a pas de mots assez dur pour dénoncer celles et ceux qui refusent les discours discriminants, mais fait preuve d’une grande mansuétude à l’égard de ceux qui les défendent...
Ignorance ou aveuglement ?
C’est que si Chouard prétend lire beaucoup, il affiche bizarrement une ignorance crasse de tout ce qui touche de près ou de loin à l’histoire de l’extrême droite (il emploie d’ailleurs toujours l’expression avec des guillemets, la jugeant sujette à caution). Il prétend n’en connaître aucun des acteurs qu’il "découvre" benoîtement sur internet, et qu’il juge souvent "intéressants" après avoir lu quelques lignes de leur prose sans prendre la peine d’en connaître le projet global. Soral serait antisémite ? Au lieu de chercher si la haine des Juifs sert d’épine dorsale au discours soralien, s’il est obsédé par le rôle des Juifs dans la marche du monde, s’il les rend responsable de tous les maux de la terre, Chouard se contente de prendre l’avis du principal intéressé. Quand on lui pose la question " êtes-vous antisémite ? ", Soral répond " non, pas au sens raciste du terme " : il n’en faut pas plus à Chouard pour penser qu’il n’est pas antisémite, puisqu’il le dit ! Que le racisme et l’antisémitisme s’exprime en général derrière des masques pour dissimuler leur violence, Chouard ne peut le concevoir. Et pour cause : que devient son beau projet de "vraie démocratie" si certains dissimulent leurs véritables intentions, se jouent de la liberté qui leur est accordée pour mieux imposer un système dans laquelle cette liberté disparaîtra purement et simplement ? À titre d’illustration, l’extrait vidéo ci-dessous nous montre Soral parlant du projet de Chouard sur MétaTV, une webtélé d’extrême droite, le 16 juin 2014 :

Mépris des victimes
Cette tolérance et cette ignorance ont un autre facteur d’explication : Chouard n’appartient à aucune des catégories qui, par essence, se retrouve dans le collimateur de l’extrême droite, et il n’affiche jamais le moindre soutien ni même la moindre considération à l’égard de celles et ceux qui, en raison de leur couleur de peau, de leur confession, de leur culture ou de leur orientation sexuelle, sont victimes de discriminations, dans les discours comme dans les faits. Cette absence d’empathie est aggravée par la posture de martyr qu’il adopte : il se désigne comme un « homme à abattre », se plaint d’être victime de « pressions », dénonce un complot pour « se débarrasser des vrais démocrates »… Retirer de son blog un lien vers un site parce qu’il est un ramassis d’insultes et d’agressions antisémites et anti-féministes, voilà ce qui est pour Chouard une atteinte ultime aux valeurs démocratiques qu’il défend. Or le racisme, comme le sexisme, n’est pas qu’une « grave erreur d’analyse » comme Chouard le reconnait, qui se combattrait en discutant au coin du feu, c’est aussi le vecteur d’une violence qui n’a rien de virtuel ni d’abstraite, comme le faits divers sordide qui s’est déroulé à Créteil en fin de semaine dernière nous le rappelle une fois encore. C’est aussi une vision du monde portée par des groupes organisés et convaincus, à l’affût du pouvoir, qui cherchent toujours à imposer leurs idées par la force. Refuser cette réalité, penser que l’extrême droite est une invention des puissants pour nous détourner des « vrais problèmes », c’est la laisser se développer, lui donner la place dont elle a besoin pour ensuite écraser ses adversaires. Une fois qu’elle sera au pouvoir, il sera un peu tard pour réagir. Quant au capitalisme, il s’en accommodera, car réactionnaires, racistes, dictateurs et exploiteurs ont toujours trouvé des terrains d’entente.

Aussi, n’en déplaise à notre démocrate intégral, le combat antifasciste ne se mène pas en échangeant d’aimables commentaires sur internet avec celles et ceux qui défendent l’exact opposé du monde dans lequel on veut vivre, dans l’espoir de les faire changer d’avis : c’est aussi une lutte pied à pied contre le développement de leurs idées, pour l’émancipation et l’égalité des droits. Et s’il faut pour cela s’opposer à des personnalités qui, comme Chouard, sont prêts à toutes les compromissions, qu’elles sachent qu’elles nous trouveront toujours sur leur chemin.
La Horde

Notes

[1"aucun de ces médias n’a jamais relayé / signalé / commenté mon travail, depuis DIX ans (!)" pleurniche-t-il