Bordeaux : concert néonazi, récit d’un naufrage

Lu sur le site du Pavé brûlant, le récit par le menu de la pathétique tentative de l’extrême droite bordelaise pour organiser un concert dans la ville… Bordeaux restera antifasciste !

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Véridiques et prémonitoires, deux photos prises par le Menhir lors d’une « formation pratique » organisée en septembre dernier – à noter, à droite, la PLS parfaitement exécutée par Thomas Bégué.

Au terme d’une semaine riche en rebondissements, les fascistes du Menhir ont perdu le peu de crédibilité dont ils et elles croyaient pouvoir encore se prévaloir en projetant un concert à Bordeaux. Organisation chaotique, salle de concert fermée, groupe annulé, public réduit à presque rien, les prétentions initiales des organisateurs et organisatrices se sont heurtées à une mobilisation large et déterminée. Photos à l’appui, nous nous proposons de retracer ici les étapes qui ont conduit au naufrage les branquignoles du 33 rue Brulatour.

Acte I : armada fasciste à l’horizon

Tout commençait pourtant sous les meilleurs auspices pour la petite troupe de fascistes girondin.e.s. Début février, ils et elles annoncent pour le 16 mars la tenue, « à Bordeaux », d’un concert patriote, avec à l’affiche le groupe d’extrême droite limougeaud Lemovice et la formation hooligan-nazie de Lyon Match Retour. Le 6 mars, un nouveau teaser grandiloquent est publié en tête de gondole de leur page facebook :

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Depuis le début, l’ambiance est au secret : le Menhir a en effet peu goûté les péripéties rencontrées il y a deux ans, lorsqu’il avait voulu organiser un premier concert, et qu’une mobilisation antifasciste avait conduit à l’annulation successive de deux de ses salles, pour une prestation finalement réalisée dans un bar minuscule aux couleurs de Cuba et sous les effigies du Che (voir ici et ici). En cette année 2019, des précautions s’imposent donc : l’adresse de la sauterie brune ne sera révélée que deux heures avant, et par message privé.

À quelques jours du concert, les groupes impliqués sont au comble de l’exaltation, Match Retour et la plateforme cyber faf Bordeaux Corbeau rivalisant de fanfaronnades sur les réseaux sociaux :

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Le jeudi 14 mars, à 11H50, France Soir publie un article alarmiste (voir ici), annonçant presque l’apocalypse nazie sur Bordeaux : « l’extrême-droite radicale à Bordeaux, la préfecture craint des violences », titre sobrement le journaliste.

Des rumeurs commencent à circuler selon lesquelles une centaine de militant.e.s d’extrême-droite, venant de toute la France mais aussi d’Ukraine et d’Espagne, s’apprête à fondre sur Bordeaux. Sachant que le jour même du concert est prévue une manifestation Gilet Jaune, chacun.e peut en droit s’attendre à ce que les fascistes profitent de leur nombre pour s’inviter dans les cortèges et rechercher la confrontation avec les militant.e.s anticapitalistes et antifascistes, comme on avait déjà pu l’observer à Paris ou Lyon.

À deux jours du concert, la scénographie est donc en place, qui met en joie le Menhir, trop heureux de faire causer dans les chaumières.

Sauf que dans la soirée du 14 mars, la bienheureuse confiance des fascistes vole soudain en éclat : nous publions notre article qui révèle le lieu de leur concert (voir ici). Dans les heures qui suivent, une panique générale saisit alors la troupe du Menhir.

Acte II : panique à bord

En fin de soirée, Thomas Bégué s’active pour battre le rappel : c’est que notre article, tout en révélant les détails de la future sauterie brune, a incidemment rappelé quelle était l’adresse du Menhir. Dans le réduit qui leur sert de local, on craint alors manifestement des visites inamicales :

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En parallèle, de nombreuses et nombreux antifascistes prennent à titre préventif des mesures d’autodéfense populaire dans les rues de Bordeaux – ces mesures seront reconduites tous les soirs suivants.

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À l’aube du vendredi 15, et au terme d’une nuit blanche qu’on imagine difficile, Thomas Bégué publie une série de messages affolés, sur sa page perso et sur celle du Menhir, pour tenter de mobiliser ses maigres troupes et rassurer son public :

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La lecture de ces quelques messages apporte aussi une preuve supplémentaire, s’il en fallait encore, que nous avions raison. En effet, si nous nous étions d’emblée trompé.e.s sur le lieu initial du concert, comme l’a ensuite prétendu le Grenier Bordelais, pourquoi la publication de notre article aurait-elle entraîné des « rebondissements » et « plus de boulot que prévu », ainsi que le confesse Bégué dans son post de 6h24  ? De fait, les fascistes passeront leur journée à chercher une solution de rechange, tout en faisant croire publiquement que leurs plans n’avaient jamais été modifiés.

À 11h54, le Menhir, qui a dû turbiner toute la matinée, modifie l’en-tête de son affiche facebook pour lui préférer un message franchement agacé (il doit être difficile de garder ses nerfs quand on a passé une nuit blanche) :

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Exit, les horaires de bar (19H-2H) initialement annoncés sur leur événement facebook : il est maintenant question d’un « terrain privé ». Les fascistes auraient-ils/elles prévu depuis longtemps un plan B, dans quelque bourgade du libournais, ou font-ils/elles déjà référence à la petite bâtisse du 33 rue Brulatour ?

Du côté du Grenier Bordelais, c’est aussi la panique : depuis la veille, de nombreuses personnes semblent avoir contacté la brasserie pour lui faire part de leur colère. La gérante nie farouchement toute implication dans l’organisation de ce concert, et annonce vouloir faire paraître un démenti officiel dans la presse. Chose promise, chose due : à 12h13, le journal Sud Ouest publie un article (voir ici) qui relaie avec complaisance les dénégations de la gérante du Grenier Bordelais ainsi que celles du Menhir. Comme à son habitude, le canard local fait du journalisme de surface en diagonalisant quelques sources internet et en interrogeant la gérante sans prendre la peine de recouper ni rapporter nos informations (il ne jugera même pas nécessaire de préciser que Mélanie Cadet, qui nie toute accointance avec l’extrême-droite, avait été elle-même candidate Front National à deux reprises – c’est pourtant ce même journal qui l’avait mentionné dans son article couvrant les départementales de 2015 !).

Le papier, bourré de conditionnel, est tellement médiocre qu’il contribue à appliquer un peu de baume au cœur de nos fascistes : dans l’après-midi, Thomas Bégué donne ses consignes pour relayer ce qu’il juge être un « bon article » :

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Dans son sillage, la fachosphère croit pouvoir un instant regagner quelques couleurs, et bombe à nouveau le torse à coup de tweets intempestifs, annonçant l’arrivée de son public et moquant les antifascistes qui n’auraient pas révélé la bonne adresse du concert :

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Concernant la présence « d’Espagnols et d’Ukrainiens », notons que les informations transmises sur Bordeaux Corbeau n’étant que très rarement corroborées sur le terrain, on n’est pas obligé de les croire sur parole

Sauf qu’en parallèle, la mobilisation se poursuit. Dans l’après-midi, même le maire de Bègles intervient en publiant un communiqué (voir ici)  : « no pasaran ! ni à Bègles, ni ailleurs ! » affirme-t-il ; de notre côté, nous obtenons de source sure des informations selon lesquelles le Grenier Bordelais, tout en fermant effectivement ses portes aux nazi.e.s, persiste à vouloir leur « livrer sa bière de l’autre côté des boulevards » – les choses se précisent donc, et il semble désormais acquis que le « terrain privé » évoqué par le Menhir en fin de matinée désigne bien son local lui-même.

La publication de notre second article (voir ici), en fin de journée du vendredi 15, dissipe alors les maigres espoirs que les fascistes pouvaient encore concevoir. À cet instant, leur rafiot prend l’eau.

Acte III : sauve qui peut

Le lendemain matin, jour fatidique des festivités, le compte Bordeaux Corbeau supprime brutalement l’affiche du concert pour lui substituer l’annonce d’une soirée dans un pub ; 45mn plus tard, c’est à la page facebook du Menhir d’annoncer carrément l’annulation du concert !

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« encore » ? le vendredi soir, nulle trace de fascistes n’a été pourtant relevée dans un quelconque pub de Bordeaux…

Nouvel écran de fumée ou véritable renoncement ? À quelques heures de la sauterie, cette communication délirante doit, à tout le moins, être le signe d’une pagaille invraisemblable dans les rangs des fascistes. De leur côté, les antifascistes observent avec fascination ce cyber-spectacle – d’autant plus qu’en parallèle la fachosphère est sur tous les fronts pour tenter de contenir comme elle le peut les multiples incendies : on voit ainsi Tito Breogan venir en soutien au Grenier Bordelais tout en rageant contre les antifascistes. De la même manière, plusieurs militant.e.s Front National volent au secours de la Brasserie béglaise, en likant ou commentant le statut de sa gérante éplorée – on a les ami.e.s qu’on mérite :

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« encore » ? le vendredi soir, nulle trace de fascistes n’a été pourtant relevée dans un quelconque pub de Bordeaux…

En début d’après-midi, la manifestation des Gilets Jaunes s’élance place de la Bourse. Dans l’hypothèse où le concert serait effectivement annulé, ce pourrait-il que les nazillon.ne.s frustré.e.s. aient l’idée de venir passer leurs nerfs sur le cortège ? Au cas où, les militant.e.s antifascistes et anticapitalistes se regroupent largement et sillonnent les rues de Bordeaux. Mais les prédictions de France Soir sont rapidement détrompées, et les fascistes brilleront par leur absence.

C’est qu’au même moment, leurs efforts sont semble-t-il consacrés à sauver ce qui peut encore l’être. En interne, ça tiraille sec, et les partisan.e.s de l’annulation sont confronté.e.s à certains membres des groupes eux-mêmes, tel Renaud le Gone, leader de Match Retour, qui réagit de façon martiale à un post de Thomas Bégué :

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La garde meurt, mais ne se rend pas ! C’est dans cet état d’esprit plein de sérénité que les fascistes abordent la soirée du 16 mars.

Acte IV : le radeau de la Méduse

Où est passée la horde de nazi.es annoncée depuis des semaines ? À la tombée du jour, les fascistes sont toujours invisibles dans les rues de Bordeaux. Dans les heures qui suivent, des sources bien informées nous indiqueront ne pas voir plus de vingt personnes, sous surveillance policière, dans la cour du Menhir : « bon je confirme la rue est déserte, nous indique à 20H l’une d’entre elles, y a trois pauvres gars sur un canapé en train de picoler de la bière chaude avec un air dépité… » ; puis à 20H50 : « toujours rien à signaler, ça a l’air mort ».

Une heure plus tard, coup de théâtre : Breogan refait surface sur les réseaux sociaux, louant la prestation du chanteur de Match Retour :

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Ce commentaire, rétropédalant les annonces de la mi-journée, sous-entend que le concert a finalement été maintenu. Mais cette soudaine euphorie de Breogan, dont on ne sait si elle est motivée par l’excès d’alcool ou la mythomanie, tranche à tout le moins avec le climat morose constaté au même moment dans la rue Brulatour.

Le lendemain matin, Match Retour apporte finalement une preuve visuelle de cette « prestation qui déchire », tandis qu’un faf produit un commentaire enjoué :

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Pur concert ? orga béton ? public déchaîné ? pour ce qui est de l’organisation, les lignes qui précèdent auront apporté suffisamment de preuves de la pagaille qui a jalonné les derniers jours des préparatifs ; quant au concert et au public, les photos ci-dessus renseignent un peu sur la réalité de la sauterie. L’angle choisi pour la photo n’arrive même pas à masquer le vide sidéral qui sépare Match Retour, coincé derrière le bar, du public, manifestement agglutiné à l’autre bout de la pièce contre la porte d’entrée. Si l’on compare d’ailleurs cette photo à un autre cliché, plus ancien, du lieu, on se rend compte de toutes façons du peu d’espace disponible, la « fosse » consistant en un étroit défilé entre le bar et l’escalier de pierre :

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Par ailleurs, le commentaire du faf Santiago Fernandez nous apporte un autre élément intéressant : « merci au groupe » – on en aurait presque oublié qu’un second groupe était initialement annoncé, en l’occurrence Lemovice, tête d’affiche de ce concert ! Santiago nous apporte donc la preuve que la formation limougeaude n’a finalement même pas daigné se déplacer. Du reste, la page facebook de Lemovice demeurera dans les jours qui suivent absolument silencieuse, ses publications restant bloquées au 10 mars.

Un bonus avant de conclure – une autre photo du concert (ou, devrait-on dire plus justement, de la répétition) :

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Un pogo à trois à côté de personnes accoudées au comptoir – la bringue du siècle !

Conclusion : achevons-les

Deux articles et une mobilisation collective auront donc permis de saper le concert que projetait le Menhir. Entre activités d’information et initiatives d’auto-défense populaire, diverses franges de l’antifascisme bordelais ont réussi à infliger aux nazi.e.s un échec organisationnel et un rapport de force défavorable dans les rues de la ville.

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Ainsi, entre mythomanie, communication contradictoire, pagaille en interne et absence sur le terrain, les fascistes du 33 rue Brulatour ont offert le spectacle d’un effondrement dont nous ne pouvons que nous réjouir. Mais il ne nous suffit pas : il reste en effet qu’à deux pas de la place des Terres Neuves, un groupe nazi s’est entêté le temps d’une soirée à pousser la chansonnette ; il reste qu’au quotidien, quelques militant.e.s antisémites, islamophobes et sexistes croient pouvoir diffuser leurs discours de haine au sein même d’un quartier populaire.

Cette sinistre comédie a maintenant assez duré : nous appelons toutes celles et ceux que cette situation révolte à se saisir de cette déroute pour réclamer la fermeture du local du Menhir. Pour notre part, nous y emploierons les forces nécessaires.
Le Pavé brûlant