Bien qu’il s’en défende, le mouvement de contestation dit des « bonnets rouges », qui est apparu il y a un peu plus d’un mois en Bretagne, a tout pour plaire à l’extrême droite : d’abord par son origine antifiscale (contre l’écotaxe poids-lourds), ensuite par sa dimension interclassiste (patrons et ouvriers main dans la main), enfin par sa coloration identitaire bretonne et son discours protectionniste. Si, contrairement à la mobilisation contre le mariage homosexuel, il n’est pas directement initié par des organisations de$ droite, il n’a pas vu venir la récupération par l’extrême droite, et pour cause : réactionnaire et poujadiste, il contient dans ses revendications tous les ingrédients pour qu’elle se sente à l’aise en son sein.
C’est le Front national qui a le premier senti la bonne affaire. Dès le lendemain de la manifestation à Pont-de-Buis, le 26 octobre, Marine Le Pen lançait le premier pavé dans la mare sur Twitter, avec un visuel dénonçant « l’injustice fiscale » et l’inévitable bonnet rouge. Quelques jours plus tard, à la manif de Quimper, on retrouve le même visuel sur des pancartes… Plus anecdotique, Jean-Marie Le Pen, un « enfant du pays », s’affuble lui aussi d’un bonnet rouge lors de son émission vidéo hebdomadaire du 8 novembre, et apporte son soutien à ce mouvement qu’il qualifie de « révolte populaire ». Marine Le Pen s’est contenté de demander, le 29 novembre, la suppression de l’écotaxe, et après s’être rendu dans le Finistère la veille ; mais Nicolas Bay, le directeur de la campagne des municipales pour le FN, est plus explicite, et propose la solution aux problèmes de la Bretagne : « davantage de contrôles aux frontières pour mettre un coup d’arrêt à la concurrence étrangère inadmissible dans l’agroalimentaire ». Enfin, mais là ça tient du gag, l’hebdomadaire Minute , décidément toujours en quête de publicité (avec près de 240000 euros de dettes, ça se comprend) a aussi promis un bonnet rouge gratuit (« 100% fait en France » !) pour tout abonnement souscrit…
Cependant, les groupes radicaux, eux aussi, ne sont pas en reste. Logiquement, c’est d’abord localement que l’extrême droite se mobilise : le mouvement Jeune Bretagne s’incruste dans les cortèges, et lance même une pétition sur son site (qui aurait recueilli environ 12000 signatures) pour rassembler « ceux qui refusent les licenciements, la mondialisation forcenée, la fiscalité démesurée, le grand remplacement de population [comprendre, dans la novlangue fasciste, l’immigration] ». Pour en savoir plus sur ce groupuscule, qui a quitté en 2012 le Bloc identitaire et qui est actuellement dirigé par Yann Vallérie, nous vous conseillons la lecture d’un dossier réalisé par des antifascistes bretons sur le sujet.
Mais les néo-fascistes d’un peu partout, un peu désœuvrés depuis que les « manifs pour tous » ont disparu, voient là une excellente occasion de refaire parler d’eux et de s’agiter un peu. Ainsi, lors des commémoration officielles du 11 novembre, sur les Champs-Elysées, des manifestants coiffés de bonnets rouges sifflent François Hollande : interpellés par la police, ils se révèlent être des membres de l’Action française, du GUD, du Renouveau Français, du "Printemps Français" ou même des militants du Front national. Le porte-parole des « Bonnets rouges », le maire de Carhaix Christian Troadec, a beau eu dire que le mouvement n’avait rien à voir avec eux et présenter les Bonnets rouges comme un « antidote [à] l’extrême droite que nous considérons comme un véritable poison », il serait plus crédible en portant un discours de classe, au lieu de prétendre avec une fausse naïveté qu’il y aurait une convergence d’intérêt entre patrons et employés, au nom d’un particularisme local…
Plus vicieux, le mouvement de Richard Roudier Réseau identités [1] a carrément déposé la marque Bonnets rouges à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle), ainsi que différents nom de domaine internet, estimant que « c’est une marque identitaire qui va devenir importante pour la population ». Les Roudier propose également une "caisse de soutien aux victimes de la répression gouvernementale" : il faut dire qu’ils ont l’habitude, puisque Martial Roudier (un des fils) anime également Entraide Solidarité, un collectif de soutien aux militants d’extrême droite qui a pris la suite en 2010 du Comité d’Entraide des Prisonniers Européens (c’est-à-dire aux militants "blancs" emprisonnés pour faits de violence) animé à l’époque par Richard Roudier (le père).
Enfin, il a confié à un spécialiste du genre la réalisation d’un journal intitulé « Le Bonnet rouge, organe de la révolte nationale des producteurs ». Dans la présentation, on peut lire : « Jadis, "Le Bonnet Rouge" était anarchiste comme nous le sommes un peu, nous aussi, avec les anarcho-capitalistes, libertariens, ou anarcho-royalistes du Lys Noir qui nous ont rejoint. » Présenté ainsi, il est facile de voir qui est derrière cette tentative de récupération fort peu discrète, et si l’évocation subtil des « anarcho-royalistes » du Lys-Noir ne suffisait, un coup d’œil rapide à la maquette du journal nous fait forcément penser à Rodolphe Crevelle [2].
- À gauche, la page 11 de Bonnet Rouge, à droite, la "une" du Lys Noir : comme un petit air de famille…
Quant à l’article sur Pierre Poujade que l’on trouve dans le n°1 de Bonnet rouge , il est tout bonnement la reproduction exacte de la couverture d’un ancien numéro du Lys Noir (le n°7) : où comment remplir un canard quand on n’a pas grand-chose à dire (ou à écrire !)… Aujourd’hui c’est sur le mouvement des Bonnets Rouges que lui et son « complice » l’inénarrable Richard Roudier tentent de surfer. Pas évident du tout que la sauce prenne, d’autant que nous sommes bien loin de la Bretagne et de ses petits patrons aux relents poujadistes, nos deux compères étant basés dans le Sud, dans l’Hérault pour l’un, et entre l’Aude et la Dordogne pour l’autre. Alors, plus que le bonnet rouge, nous conseillerons à ces clowns le port d’un nez rouge !