Autriche : quelle mémoire du 9 novembre 1938 ?

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Les organisations d’anciens déportés, de résistants et de déserteurs autrichiens, des associations juives, des élus ainsi que de nombreux partis politiques (Verts, communistes, syndicats) ont appelé à un rassemblement le samedi 9 novembre 2013 à 19 heures au mémorial de l’ancienne gare de Aspangbahnhof (place des victimes de la déportation, Vienne, Autriche)

 Les événements annonciateurs du 9 novembre en Autriche

Déjà dans la nuit du 11 au 12 mars 1938, c’est-à-dire à l’occasion de l’entrée de l’armée allemande en Autriche, les Juifs autrichiens furent l’objet d’agressions. Beaucoup furent arrêtés, tabassés et publiquement humiliés par des membres des SA, des Jeunesses hitlériennes et par de « simples » membres du parti nazi, qui avaient sorti leurs brassards à croix gammée et autres décorations. Des vitrines furent brisées. Des Juifs furent obligés d’effacer à la brosse des slogans que les partisans du chancelier Schuschnigg avaient écrit la veille de « l’Anschluss ». Quand bien même certains des badauds avaient reconnu des voisins ou des amis parmi ceux qui étaient en train de se faire humilier, personne n’eut le courage de protester, ce qui, à ce moment-là, aurait encore été possible. Avec ces humiliations commençait la discrimination des Juifs autrichiens, qui fut d’autant plus forte en Autriche qu’elle se mettait à niveau avec le climat de discriminations et de brimades installé depuis cinq ans en Allemagne.

La signification du pogrome de novembre

Le 7 novembre à Paris, Herschel Grynspan, 17 ans, tire sur le diplomate allemand Ernst von Rath, en signe de protestation contre les persécutions dont sont victimes les Juifs en général, et ses parents en particulier, qui viennent d’être expulsés d’Allemagne vers la Pologne. Après la mort de Rath, Goebbels organise le 9 novembre 1938 une action à l’échelle nationale contre la population juive d’Allemagne, qui doit apparaître comme « l’explosion spontanée de la colère populaire ».
À cause des incendies qui font scintiller cette nuit-là les vitrines brisées comme du « cristal », les nazis décident de baptiser le pogrome la « Nuit de Cristal ». Au cours de cette nuit qui dure en fait plusieurs jours et plusieurs nuits, des milliers d’appartements et de magasins juifs sont pillés, détruits et « aryanisés ». 42 synagogues et maisons de prière sont incendiées et mises à sac à Vienne et dans des villes autrichiennes de moindre importance telles Innsbruck. Des agressions particulièrement sanglantes font de nombreuses victimes, aussi bien la nuit-même du pogrome que dans les jours qui suivent : certains meurent de leurs blessures, et d’autres se suicident de désespoir.
À Vienne, 6547 Juifs sont arrêtés durant le pogrome, dont plus de la moitié sont déportés vers le camp de concentration de Dachau. Il faut ajouter à ce la que la population juive est contrainte par les autorités du Troisième Reich de payer pour tous les dommages causés par le pogrome.
Le 9 novembre fut une étape décisive dans le processus de privation des droits et de spoliation des Juifs. Mais ce fut également un « test » que les nazis voulaient mener afin de voir quel degré de persécution des Juifs la population était susceptible d’accepter sans s’y opposer de façon significative.

La gare de Aspangbahnhof

Avec l’invasion de la Pologne commençait officiellement la Seconde Guerre mondiale en Europe. À cette époque, environ 70 000 Juifs vivaient encore à Vienne. Entre temps, tous les Juifs autrichiens avaient en effet été regroupés dans la capitale, où ils vivaient parqués dans des conditions très pénibles, aussi bien du point de vue du logement (regroupement) que de leur alimentation (très insuffisante). Ils étaient enregistrés, et à partir de septembre 1941, devaient porter une étoile jaune, qui marquait d’ailleurs également les appartements encore occupés par des Juifs, pour que les autorités autrichiennes se voient faciliter la persécution tout autant que la déportation de leurs occupants.
Les déportations s’effectuaient à partir de la gare de Aspangbahnhof, tout d’abord dans des wagons de troisième classe, plus tard dans des wagons à bestiaux. « Seule » la police autrichienne veillait à l’exécution des déportation, pas les SS, d’une part parce que les nazis voulaient certainement donner aux déportés et à la population qui regardait l’illusion que les Juifs « émigraient », d’autre part parce qu’ils ne s’attendaient pas, de la part des déportés qui étaient principalement des gens âgés ou des femmes, à une résistance notable. Les victimes des premières déportations (au début de l’année 1941) furent réparties dans les ghettos de la Pologne occupée. Ceux qui pouvaient travailler se retrouvèrent pour la plupart dans les camps de travail des SS. La majeure partie des déportés du début de l’année 1941 devaient être victimes des « actions de ratissage » des SS (début et été 1942), ou bien furent envoyés avec les Juifs polonais dans les centres de mise à mort. Des milliers de Juifs autrichiens furent ainsi fusillés en masse ou gazés dans des camions dans des camps comme Maly Trostinez.
Plus tard, les trains au départ de la gare de Aspangbahnhof allèrent au ghetto de Terezin, à proximité de Prague, d’où partirent ensuite des trains pour les centres de mise à mort de Treblinka, Sobibor et Auschwitz-Birkenau, où avaient été construites dans l’intervalle des chambres à gaz gigantesques, avec pour objectif de tuer le plus de gens possible en le moins de temps possible et, pour les bourreaux, avec le plus « d’égards » possibles.
Entre temps, les Roms et les Sintis autrichiens (qui furent tout d’abord persécutés parce que soi-disant « asociaux », et plus tard comme « Tziganes ») avaient été spoliés et internés dans les camps de Lackenbach (Burgenland), Maxglan (près de Salzbourg) et de St. Pantaleon (Haute-Autriche) où ils étaient réquisitionnés pour le travail forcé. Environ 5000 Roms et Sintis, généralement des familles entières, furent déportés en 1941 dans le ghetto de Lodz et assassinés dans le centre de mise à mort de Kulhof / Chelmo. Une grande partie des Roms et Sintis autrichiens qui restaient furent emmenés à Auschwitz/Birkenau où ils furent assassinés ; bien peu d’entre eux survécurent. Lorsque l’Armée rouge délivra le camp de Lackenbach, il restait à peine 400 prisonniers vivants.
Après 40 grands transports et beaucoup de moindre envergure au départ de Vienne, il n’y avait en 1945 plus que 5000 Juifs sur les 200 000 qui vivaient auparavant dans la capitale autrichienne. Dans les derniers jours de combats pour Vienne, une unité SS continua à massacrer des Juifs dans la ville.
15 à 20 000 Juifs autrichiens qui pensaient être en sécurité après avoir fui vers la Tchécoslovaquie, la Belgique et la France, tombèrent aux mains de leurs bourreaux après que l’armée allemande eut envahi ces pays.
Six millions de Juifs européens ont été victimes de la Shoah ; parmi eux, au moins 65 500 venaient d’Autriche. Ce chiffre est une estimation minimale, étant donné que de nombreuses victimes de la Shoah étaient anonymes ou « apatrides », et ne furent donc pas comptabilisées comme citoyens autrichiens. Des 11 à 12 000 « Tziganes » autrichiens, environ 9500 furent assassinés de 1938 à 1945 ; environ 2000 survécurent aux déportations. Il faut ajouter à ces chiffres plusieurs milliers de handicapés, « d’asociaux », de témoins de Jéhovah, de travailleurs forcés, de déserteurs et de « saboteurs », d’homosexuels, de criminels et de prisonniers politiques et résistants, qui furent victimes de la machine de mort des nazis.
http://www.initiative-aspangbahnhof.org

traduction et adaptation : Tina