Antisémitisme : quelques réponses juives à "l’appel des 300"

Le 22 avril dernier, 300 "personnalités", dont Alain Finkielkraut, Manuel Valls ou encore Nicolas Sarkozy, ont signé dans Le Parisien un appel faisant de l’islam la source première de l’antisémitisme, quelques semaines après le meurtre de Mireille Knoll, sur lequel nous nous étions exprimés ici. Des organisations juives, entre autres, leur ont répondu.

UJRE

L’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE), issu de la Résistance et plus particulièrement de la MOI (Main d’Œuvre Immigrée), a publié un communiqué intitulé "Merci de prendre notre défense, mais pas de cette façon !", dans lequel elle déclare :

En contradiction flagrante avec les conclusions des travaux commandés par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les signataires utilisent les mots manifestement outranciers de « terreur » et d’« épuration ethnique ». Ils tendent à faire de l’islam radical la cause principale de l’antisémitisme, ce qui est ignorer non seulement l’antisémitisme traditionnel, mais, au-delà de causes religieuses ou idéologiques, la désespérance provoquée par les discriminations de toute nature qui frappent les jeunes de banlieue comme l’attestent les travaux du Défenseur des droits.

Quant à la dénonciation d’un supposé antisémitisme de la gauche radicale, on cherche en vain dans ses principales composantes, qu’elles soient communiste, insoumise ou écologiste, le moindre fait concret permettant d’étayer une pareille accusation infâme.

L’assimilation entre antisionisme et antisémitisme, ne distinguant même pas la légitime critique de la politique du gouvernement israélien, relève de la même infamie outrancièrement simplificatrice. Opérant un parallèle fallacieux avec la modification d’une prière catholique abrogeant la mention du « juif perfide », ces signataires n’hésitent pas à demander, de façon totalement absurde, non pas la modification d’une prière, mais la suppression de textes du Coran, alors même qu’en l’absence d’autorité hiérarchique propre à l’islam, une pareille demande est dénuée de sens.

Le conflit israélo-palestinien est le grand absent de ce texte alors que l’instauration d’une paix juste au Proche-Orient contribuerait grandement à éradiquer l’antisémitisme.

JJR

Le groupe libertaire Juifs et Juives révolutionnaires (JJR) rappelle que cet antisémitisme " n’a rien de nouveau ", et que "l’’idéologie antisémite est en effet profondément ancré dans le roman national français" :

Certains au sein de notre minorité ont conclu dans la période qui précédait trop hativement (ou continuent de conlure) à un effacement de l’antisémitisme conçu non plus comme systémique mais comme résiduel. L’un des fondements de cette analyse erronée est qu’il n’existe plus d’antisémitisme institutionnel, d’antisémitisme d’État, caractérisé par une politique institutionnelle au plus haut du pouvoir. Mais l’étude de l’histoire de l’antisémitisme au cours des siècles montre bien que même quand le pouvoir politique se pose en « protecteur des juifs et des juives », la minorité n’est pas à l’abri des persécutions.

Après avoir rappelé que les préjugés antisémites des assassins de Mireille Knoll et Sarah Halimi étaient les mêmes que ceux de l’antisémitisme traditionnel, et surtout qu’ils n’ont pas revendiqué leur crime au nom de l’islam politique, les JJR rappellent :

En réalité donc, les assassins antisémites sont les produit de l’antisémitisme européen et de sa diffusion en terre d’islam à l’occasion de la colonisation : en Algérie coloniale, par une agitation antisémite visant à opposer juifs et musulmans pour préserver l’ordre colonial : Drumont y sera ainsi élu comme député de la ligue antisémitique par le parti colonial français et y mènera une intense agitation politique. Au moyen orient par les pères blancs, puis par les nazis ayant trouvé refuge en offrant leurs services de tortionnaires à certains régimes. La traduction des pamphlets antisémites européens et leur large diffusion est à la source de cet antisémitisme qui donc n’a rien de bien nouveau en ce qu’il est un pur produit de l’europe blanche et chrétienne, et la marque de son influence idéologique au sein de la sphére coloniale, même après la décolonisation. […]

En refusant de qualifier les assassins pour ce qu’ils sont, les produits idéologiques du supprémacisme blanc (un système qui diffuse son influence raciste au sein même des minorité qu’il opprime, qu’il s’agisse de la minorité musulmane, de la minorité juive ou de toute autre minorité tellement il est devenu idéologiquement hégémonique), les propagateurs d’une telle théorie empêchent en réalité concrètement et matériellement la lutte idéologique contre l’antisémitisme qu’ils prétendent promouvoir. En opposant lutte contre l’antisémitisme et contre l’islamophobie. En refusant d’identifier le caractère colonial de l’idéologie antisémite, et son rôle de maintien de l’ordre raciste. En travaillant à opposer juifs/juives et musulmans, comme le fond leurs alter-égos en miroir inversé qui nient ou minimisent l’antisémitisme au sein de la gauche ou au sein de nos minorités (en voyant en sa dénonciation un discours concourant en soi à l’islamophobie comme les signataires de cette tribune voient en la dénonciation de l’islamophobie un discours en soi antisémite)

Et de conclure :

La lutte contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne, suppose de combattre toute instrumentalisation raciste et de situer la provenance coloniale de ce discours. Ce qui permet de dénoncer les courants qui le portent, quels qu’ils soient, comme des relais de l’idéologie coloniale et suprémaciste blanche. L’antisémitisme qui revient comme une vague de fond en France n’a rien de nouveau. Il est à combattre avec détermination, d’où qu’il vienne, sans aucune complaisance ni minimisation, contrairement aux réactions d’une partie de la gauche qui refuse d’affronter la question au prétexte qu’elle serait confisqué par les réactionnaire. Cette confiscation est en réalité le produit de son silence et de ses atermoiements.
Mais ce combat n’est pas soluble dans l’islamophobie ni dans une relecture de l’histoire visant à absoudre le « roman national » et le colonialisme de sa responsabilité dans la diffusion internationale de l’antisémitisme.

UJFP

Enfin, l’Union Juive française pour la Paix (UJFP) dénonce de son côté "le manifeste de la haine islamophobe" :

L’antisémitisme, c’est notre histoire intime. L’attribuer aux musulmans est une contre-vérité meurtrière. Pétain, Laval et les auteurs de la rafle du Vel d’hiv n’étaient pas musulmans. En cette période, ils disaient des Juifs ce qu’aujourd’hui certains disent des immigrés : « inassimilables », « n’ont pas vocation à vivre en France ». Prenez ce qu’on dit aujourd’hui des Noirs, des Roms, des Arabes et des musulmans et mettez à la place le mot « juif ». Vous avez les discours des années 30 et on sait où cela a mené. […]

Les signataires de ce texte s’inscrivent dans la logique du discours de Georges W Bush contre l’axe du mal » en 2002. Le mal pour eux, c’est bien sûr l’islam. Pas tout l’islam, pas le roi d’Arabie Saoudite. Ce régime féodal et patriarcal est dans le camp du « bien ». L’ennemi, c’est le musulman des quartiers. […]

Nos signataires veulent expurger les textes religieux coraniques de propos inacceptables.
Pourquoi ne demandent-ils pas aussi aux Chrétiens de retirer des Évangiles le texte qui dit que les Juifs demandent aux Romains de tuer Jésus ?
Nous autres, Juifs, pouvons leur proposer d’en profiter pour nettoyer certains textes de la Torah repris par les colons passés depuis longtemps aux « travaux pratiques » sur le terrain de la Palestine : « Annihilez les Amalécites du début jusqu’à la fin. Tuez-les, et dépouillez-les de toutes leurs possessions. Ne leur montrez aucune pitié. Tuez sans arrêt, l’un après l’autre. Ne laissez aucun enfant, aucune plante, aucun arbre. Tuez leur bétail, des chameaux aux ânes ». Ils vont sûrement exiger qu’on cesse d’assimiler les Palestiniens aux Amalécites.

memorial98

Mémorial 98 n’est pas une association juive, mais une association antiraciste et antifasciste particulièrement active dans la lutte contre l’antisémitisme et la négation de tous les génocides, a elle aussi dénoncé la supercherie de l’appel des 300 :

Nous rejetons tous les antisémitismes, anciens ou prétendument nouveaux, quelle que soit leur justification, car ils représentent tous la continuité de la persécution des Juifs. Nous prenons au sérieux la gravité de la situationici et dans toute l’Europe au moment ou l’antisémitisme fait un retour fracassant dans le sillage de la droite radicale antisémite au pouvoir en Pologne, en Hongrie et en Autriche, et qui menace en Allemagne. Nous sommes sensibles à la peine et à l’inquiétude de ceux et celles qui subissent les manifestations de l’antisémitisme et nous mobilisons pour les soutenir, comme récemment lors de la marche en mémoire de Mme Knoll. […]

Le texte publié dans Le Parisien par Philippe Val a une toute autre fonction que son objet proclamé, comme en atteste son argumentation particulièrement sensationnaliste et perverse. ll s’agit pour ses promoteurs de stigmatiser et désigner la population musulmane comme principale voire seule coupable de l’antisémitisme dans ce pays et au passage de dénoncer la gauche, les médias et les « élites ». Cela se fait par un message véritablement « populiste » qui triture le langage et lance des accusations vagues et dangereuses. Le recours à la notion d’ « épuration ethnique » dont seraient victimes les Juifs de ce pays de la part des musulmans, donne la mesure d’une volonté d’opposer des populations par la référence à de situations dramatiques de guerre et de persécutions. On notera que les musulmans Rohingya sont actuellement victimes d’une réelle épuration ethnique de la part de l’armée et du pouvoir de Birmanie. Des centaines de milliers de personnes ont du fuir leur villages et leurs maisons sous la menace.