Antifascistes de tous les Balkans, unissez-vous !

Lu sur le site Le Courrier des Balkans :

Balkans

Discours de haine, attaques racistes et homophobes, réhabilitation des oustachis ou des tchétniks de la Seconde Guerre mondiale : le néo-fascisme se porte bien en Serbie, en Croatie comme dans les autres pays de la région, mais une jeune garde antifasciste se développe aussi, de Zagreb à Belgrade, de Ljubljana à Skopje. « La solidarité est notre force, la mémoire est notre lutte », expliquent ces militants. Rencontres.

Par Iva Martinović, traduit par Eléonore Loué-Feichter

Réécritures de l’histoire, réhabilitation du mouvement tchetnik, négation des crimes commis, les logiques de haine se propagent de plus en plus en Serbie. De l’autre côté de la frontière, en Croatie, les néo-oustachis répondent « Pour la patrie ? Toujours prêts ! ».

La Bosnie-Herzégovine reste divisée en différents groupes ethniques et religieux, le Monténégro et la Slovénie ne sont pas non plus épargnés par les discriminations. C’est pourquoi l’antifascisme moderne, notamment celui des jeunes, est plus que jamais nécessaire dans tous les pays de la région.

« L’antifascisme m’est venu de manière indirecte puisque, dès ma première année à l’Université, j’ai commencé à me forger ma propre opinion politique et il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que cette question était d’actualité », explique Matija Medenica, étudiant en sociologie à l’Université de Belgrade.

Pour Ivan Botica, membre de l’association antifasciste de Korčula, en Croatie, l’engagement est avant tout sentimental et idéologique : « Nous sommes tous des petits-enfants de combattants partisans et nous avons réalisé que cet espace d’action idéologique était le plus approprié. »

Emir Hodžić de Bosnie-Herzégovine est motivé par un sens de la responsabilité envers les générations futures. Il se souvient du 31 mai 1992, lorsque les autorités serbes de Bosnie ont émis l’ordre à la population non-serbe de Prijedor d’accrocher à leurs maisons un drap blanc et de porter à leur bras un bandeau blanc. Ce fut le début de l’extermination de 94 % des Bosniaques et des Croates du territoire de Prijedor. « J’ai échappé au génocide de Prijedor, j’ai vécu la déshumanisation et j’ai assisté à toute cette haine. Il s’agit de la forme la plus extrême pouvant être atteinte avec ces idées et ces idéologies malsaines », explique-t-il.

Rares sont ceux qui prennent en compte ces avertissements, notamment en Serbie – pays où des membres de la communauté LGBT se font attaquer, où dans le centre de Belgrade, on tue un supporter de football français, où les médias se font les alliés d’une campagne contre les opposants, où les groupes minoritaires sont toujours discriminés. Dans ce climat, des groupes d’extrême droite, même si certains sont interdits, trouvent leur place, organisent des activités publiques et entrent dans la vie politique.

Outre leur lutte contre les groupes d’extrême droite tels que le mouvement Dveri, ces jeunes antifascistes de Serbie se révoltent également contre la réécriture de l’histoire, la réhabilitation du mouvement tchetnik et une lecture non-objective de l’histoire, notamment dans la série Ravna Gora de la télévision nationale.

« Un mouvement qui avait comme politique le nettoyage ethnique pour des raisons nationales et religieuses est présenté comme antifasciste. Avec la réhabilitation du mouvement tchétnik, on réhabilite également toute la classe politique pour toutes ses actions durant la guerre en Bosnie et en Croatie. Je pense que c’est un problème, car désormais on nous catégorise tous en Serbie, et comme nous le voyons en Croatie aussi, dans ce cadre nationaliste », estime Matija Medenica.

Le cri de ralliement oustachi « Pour la patrie… », lancé par le footballeur croate Josip Šimunić et la réponse « … Prêts ! » venue des tribunes ont été vivement condamnés en Serbie, mais on s’accommode trop souvent dans ce pays de la glorification des criminels de guerre et du slogan « Nož, žica, Srebrenica », régulièrement entendu dans les stades.

Aucune réaction de l’État croate au salut oustachi

Tout comme en Serbie, Ivan Botica accuse les institutions et la société croates de rester sans réaction adéquate face aux divers phénomènes fascistes. « Nous assistons à un déferlement de l’extrémisme en Croatie. Au travers de la section des jeunes antifascistes de l’association de Korčula, nous avons la capacité de reconnaître ces phénomènes et d’y réagir de façon radicale. Nous habitons un milieu restreint, une île, mais nous sommes satisfaits du nombre de jeunes qui répondent positivement à notre travail. »

Pour ce qui est des problèmes de fascisme et de nationalisme en Bosnie-Herzégovine, la situation est sensiblement la même que dans tous les pays de l’ancienne Yougoslavie, bien qu’elle soit accentuée par la présence de trois groupes ethniques et religieux.

« En Bosnie-Herzégovine, les problèmes sont terribles. On trouve des rues qui portent le nom de fascistes, un Dodik qui gouverne de manière totalitaire, nie ouvertement les crimes et mène une politique discriminatoire avec une ségrégation à tous les niveaux, ne représentant que les intérêts serbes. Si nous vivons dans une culture où Ratko Mladić et Draža Mihailović sont des héros, où la popularité de la série Ravna Gora est si importante et où l’on assiste à une réécriture de notre passé antifasciste, je pense que cela est très dangereux pour l’avenir de la jeune génération. C’est pourquoi je me sens responsable et face à un défi. Je n’accepte pas cela. Je suis un citoyen de ce pays et tant que je suis vivant je ne laisserai pas gagner une telle idéologie », explique Emir Hodžić.

Au Monténégro, certains jeunes mettent en garde contre le danger que l’histoire se répète. « Il est certain que le fascisme est représenté aujourd’hui sous une forme différente », déclare Boško Vukić.

En Slovénie, selon les dires de Gregor Stamejčič de l’initiative pour le rassemblement local de Maribor, l’écriture de l’histoire divise encore aujourd’hui les citoyens et l’hostilité envers les autres est la même qu’au sein d’autres pays de la région. « Je viens d’une famille ayant une forte tradition de gauche et tous mes ancêtres étaient dans la résistance. Nous assistons à de nombreuses formes de fascisme dans la vie quotidienne en Slovénie. Ici, les gens ont un problème avec les homosexuels, les immigrants, les rroms. Un engagement déclaré est une chose, les faits en sont une autre. » Selon lui, les jeunes sont insatisfaits mais passifs et cela ouvre la porte à l’extrémisme et au fascisme.

« Le fascisme fournit des réponses rapides à de nombreuses questions. Pourquoi vous ne travaillez pas, pourquoi vous êtes pauvres – à cause des Chinois, des Rroms, de la mafia… C’est ce qui le rend attirant. Mais si les gens ont la volonté et les connaissances nécessaires pour faire face à ces problèmes, alors une telle réponse peut être évitée. Et cela est particulièrement vrai pour les jeunes qui n’ont plus d’ambition et sont condamnés à rester passifs. »

Selon Minel Abaz, un militant de Sarajevo, les jeunes sont dès leur plus jeune âge empoisonnés par ces idéologies et il est donc très difficile de changer plus tard leurs convictions. « Mais nous ne baissons pas les bras et nous travaillons constamment à la sensibilisation. Nous devons travailler pour une unification contre les différentes formes de fascisme. La solidarité est notre force. La mémoire est notre lutte ». C’est pour cette raison qu’Ivan Botica, de l’association des antifascistes de Korčula, fait appel aux autres pays de la région pour échanger des contacts et travailler ensemble. « Nous partageons la même histoire et nous sommes voués à partager le même avenir ».