Le site Contretemps vient de publier un long entretien avec René Monzat  [1] , dans lequel le spécialiste de l’extrême droite décortique les forces et les faiblesses du Front national. Après un rapide historique du FN à travers en particulier le rôle joué par Jean-Marie Le Pen en son sein, il décrit l’évolution du profil des cadres du parti, revient sur les liens du parti de Marine Le Pen avec la mouvance identitaire et la Manif pour Tous,élargit la question en mettant en perspective la nature du fascisme contemporain et en tordant le cou à quelques idées reçues, et enfin conclut l’entretien sur le lien entre antiracisme et antifascisme. En voici quelques extraits, l’entretien étant à retrouver en intégralité ici.

Famille_Le_Pen

Hier les dirigeants du Front National étaient des militants avec une très forte identité politique et idéologique construite dans une autre structure militante, ils se formaient, lisaient, colloquaient, débattaient, se mariaient, manifestaient, partaient en pèlerinage ou en camps d’été, entre eux, dans des organisations militantes très structurantes mais extérieures au Front National. Des militants catholiques traditionnalistes, des monarchistes convaincus et enfin des héritiers de l’Ahnenerbe de la SS organisés en secte semi religieuse, étaient simultanément cadres du Front National, jusqu’au plus haut niveau.

Aujourd’hui en revanche on ne peut plus donner ainsi une appartenance idéologique et organisationnelle précise des membres de la direction du Front National. La plupart des « figures » cadres/élus actuels de ce courant (du Front National et des organisations satellites) ne viennent pas du sérail : Florian Philippot ex chevènementiste, Gilbert Collard ex avocat et dirigeant du MRAP, Robert Ménard, ex patron de RSF (reporters sans frontières), Fabien Engelman ex CGT qui a passé une décennie à LO puis au NPA ; en revanche, Louis Alliot ne vient pas de la gauche mais c’est lui qui a « purgé » l’encadrement du Front National des éléments les plus idéologisés et Marion Maréchal-Le Pen de sensibilité catholique conservatrice, n’est pas organisée dans un courant distinct.

Deux remarques pour clore cette comparaison :

  • Le Front National a peu de militants qui « représentent » d’autres personnes. Excepté les élus politiques (bien moins nombreux qu’au PS) le FN compte peu d’animateurs de structures collectives, d’associations, de syndicats.
  • Si le Front National écrase électoralement le Part Communiste, leurs capacités de mobilisation semblent inverses. Le contraste entre la Fête de l’Humanité et les maigrichonnes initiatives nationales du Front National témoigne d’un ancrage de nature différente dans la société française.
    […]

Il y a des débats sur la « nature » du Front National, qui sont surtout rhétoriques et qui devraient être réglés depuis longtemps. Or c’est l’étrange résistance de ces questions qui interroge. La définition kominternienne de Dimitrov, « le fascisme comme bras armé du capital », mécaniquement économiste, a produit le contresens de « l’extrême droite forcément ultralibérale ». En négligeant l’autonomie du politique elle fait obstacle à la compréhension du réel. […]

momie

Le Front National n’est pas le capital financier, ni son instrument direct. Aujourd’hui les instruments du « grand capital » c’est la puissance directe immense des principales multinationales (bancaires, des services, des grandes sociétés militaires privées et industrielles), celle du gouvernement américain, les institutions internationales FMI OMC etc, ce sont les institutions européennes, le cadre juridique, les règles de management comme les normes comptables, ce sont en France les partis organiques du capital (UMP et PS). « Le capital » n’a nul besoin du Front National. « Le capital » n’est pas « chauvin ». Le patronat est, en France, absolument opposé au programme du Front National. Pierre Gattaz, le patron du MEDEF déclarant « le programme économique du Front national [..] me rappelle étrangement le programme commun de la gauche de 1981. Retour de la retraite à 60 ans, augmentation de tous les salaires avec notamment une hausse du smic de 200 €, retour au franc, augmentation des taxes d’importation... C’est exactement l’inverse de ce qu’il faut faire pour relancer la croissance économique du pays »

Le Front National n’est pas libéral, il a refermé la parenthèse libérale ouverte en 1984 dès 1989, au moment de la chute du mur de Berlin quand il a changé en un instant sa vision du monde centrée sur le conflit Est/Ouest vers un paradigme Peuples enracinés/Mondialisme. Cela fait donc un quart de siècle que le Front National est redevenu antilibéral (même s’il y a toujours des discussions sur cette question en son sein et des formulations flottantes et contradictoires dans l’expression de certains de ses cadres).

Il est le seul parti dont le chef (Jean-Marie le Pen) ait expressément critiqué le fondement même de la théorie économique classique, c’est-à-dire la théorie de l’avantage comparatif de David Ricardo, à la fois lors de colloques du Conseil Scientifique du FN et lors de son discours du Premier Mai.

Le Front National n’est pas financé massivement par le grand capital. Si les flux de financement réels mesuraient vraiment une confluence directe des intérêts, les conclusions à en tirer seraient toutes autres. Il y a des patrons qui sont adhérents du Front National, il y a des entreprises qui le soutiennent, ouvertement ou discrètement, mais la résultante reste limitée en proportion des fonds mobilisés par divers canaux pour des structures politiques et sociales sans lien avec le Front National :

  • Ainsi en France la vie des partis - des partis ayant des élus- a été massivement financée depuis des décennies par la « ristourne » (de l’ordre de 2% du montant des travaux publics) accordée par la plupart des entreprises du BTP concernées et versée en liquide au trésorier de la collectivité adjudicatrice, les mesures de moralisation ayant montré depuis une efficacité mitigée.
  • Le patronat finance aussi le mouvement syndical par différents canaux dont plusieurs sont parfaitement publics.
  • Enfin le financement ostensible des publications nationalistes corses par le secteur commercial de l’ile, de la grande distribution au plus petit des cafés permet-il d’affirmer que le FLNC est le « bras armé » du commerce insulaire ?

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Notes

[1Ancien animateur de Ras l’Front et auteur de plusieurs ouvrages sur l’extrême droite dont l’ouvrage de référence écrit avec Jean-Yves Camus Les droites nationales et radicales en France, il participe aujourd’hui à Espaces Marx et au réseau européen Transform !