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L’AfD n’est pas d’extrême droite, mais n’hésite pas à poster des argumentaires racistes différentialistes sur FB

Comme le répètent ses fonctionnaires et ses adhérents un peu à la façon d’un mantra, l’AfD n’est ni conservatrice ni libérale, on ne peut la classer ni à droite ni à gauche. Et pourtant, des derniers jours, le « parti du bon sens » comme aime à le décrire son dirigeant Bernd Lucke, a intégré le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE), dans lequel on retrouve aussi bien des nationaux-conservateurs que des populistes d’extrême droite. Au sein du CRE, les fossés idéologiques sont profonds.

Lucke ne voulait se commettre avec aucun parti ouvertement populiste d’extrême droite ou, pire encore, d’extrême droite radicale. En parvenant à entrer, avec les six autres élus de son parti, au groupe des Conservateurs et Réformistes européens, Lucke a ajouté une nouvelle victoire à son palmarès : en plus de son succès aux élections où l’AfD a remporté 7 sièges, il est parvenu à coiffer la CDU au poteau en étant accueilli par un groupe dans lequel on retrouve des conservateurs britanniques.
Certes, le Premier Ministre britannique, David Cameron, avait pris position contre l’intégration de l’AfD au groupe afin d’éviter d’avoir à gérer de nouveaux problèmes avec Angela Merkel, mais les élus tories au Parlement européen n’ont pas suivi ses préconisations. Beaucoup d’entre eux ont voté pour une coopération avec l’AfD, peut-être précisément pour défier Merkel. Cette dernière va avoir bien du mal à expliquer à ses électeurs où le bât blesse avec l’AfD, alors même que la CDU siège au Parlement européen dans le groupe du Parti Populaire Européen (PPE) avec le Fidesz de Viktor Orban.

Quelle alternative ?

On ne sait pas encore si Lucke et ses collaborateurs de l’AfD seront heureux avec les autres membres du groupe. Car, en fait « d’alternative », chère à l’AfD au moins dans son nom, les CRE sont plutôt en reste. En effet, les objectifs et les stratégies des CRE ne relèvent pas de « l’opposition fondamentale à l’Europe », mais de la « politique d’alliances avec les partis majoritaires », c’est-à-dire pour certains, les partis de gouvernement. Dans d’autres domaines politiques, une coopération est possible y compris avec le camp social-démocrate.
Comment l’AfD vend-elle une telle politique d’alliance à ses adhérents (si tant est que cela les intéresse) ? Et comment Lucke et les six autres députés européens vont-ils se débrouiller face à de telles contradictions de fond ? On note ainsi parmi les membres des CRE le parti polonais national-conservateur PiS (Prawo i Sprawiedliwosc, Parti du Droit et de la Justice, des frères Kaczynski, dont il ne reste que Jaroslaw aujourd’hui). Pour le PiS, l’idée d’État-providence est fondamentale, au contraire de ce que prônent l’AfD, les tories ou les députés tchèques du Parti démocratique des Citoyens (ODS, Obcanska Demokraticka Strana). Par rapport à l’Ukraine, on note également un fossé idéologique qui traverse le groupe : tandis que les adhérents de l’AfD ne cachent pas sur Internet leur admiration pour une politique autoritaire anti-occidentale à la Poutine, le PiS polonais par exemple reste extrêmement sceptique à l’égard de la Russie.

L’extrême droite qui venait du froid

Ajoutons à cela l’épineuse question de la distanciation d’avec l’extrême droite. Pour l’AfD, c’est une question qui se pose sans cesse, au niveau des länder en particulier, et qui n’est jamais résolue au regard des déclarations qui émaillent régulièrement l’actualité allemande.
On retrouve donc au niveau européen le même genre de contradictions : ainsi, le Dansk Folkeparti, qui appartient clairement au camp des populistes d’extrême droite, se prononce pour l’État-providence et mise sur les thèmes habituels à la mouvance politique à laquelle il appartient : immigration, Islam, politiques sécuritaires, nationalisme, euroscepticisme et hostilité à l’égard de l’UE. Il en va de même chez les Vrais Finnois, qui sont également membres des CRE. Ces deux partis viennent d’ailleurs d’annoncer leur départ du groupe Europe de la Liberté et de la Démocratie (ELD), voir ici.
Ce que l’AfD, le Dansk Folkeparti et les Vrais Finnois ont en commun, c’est leur positionnement anti-establishment, ce qui, au regard d’une alliance avec le PiS et les tories , tous deux partis de gouvernement, est tout à fait absurde.
Quoi qu’il en soit, les groupes agissant au sein du Parlement européen n’ont pas la même signification que les groupes parlementaires tels qu’ils existent par exemple au Bundestag allemand, où ils mènent de véritables actions politiques concertées. Il s’agit au niveau européen de coalitions ad hoc permettant aux élus qui leur appartiennent d’accéder à certains privilèges. En somme, les euro-sceptiques prêtent le flan à la critique : on leur reproche l’hypocrisie d’une attitude qui consiste d’un côté à déplorer les dépenses effectuées au nom de l’UE, et de l’autre à s’empresser d’encaisser les financements dédiés aux groupes et les indemnités dévolues aux élus.

Des fissures dans l’Union

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« Soyez assurés que les 7 députés ont été chaleureusement accueillis et applaudis, et que nous serons une délégation qui comptera. », Ulrike Trebesius, élue de l’AfD pour le Schleswig-Holstein

En fin de compte, Bernd Lucke s’est imposé par ses réussites dans l’AfD : il a créé son propre parti tout d’abord, il est ensuite parvenu à le tenir éloigné du populisme d’extrême droite qui dit ouvertement son nom, et enfin, il a réussi à relier cependant son parti à ce courant d’opinions par l’usage de la rhétorique d’extrême droite et un choix habile de ses thématiques. Tel est le cauchemar qui a poursuivi la CDU et la CSU ces dernières décennies : l’existence, à droite de l’Union, d’un parti légitimé démocratiquement. Voilà qui semble chose faite avec l’AfD, qui a su rassembler les voix des déçus de la gauche qui exigent un protectionnisme national contre la mondialisation économique, mais aussi celles du milieu (national-)conservateur. En entrant au Parlement européen, l’AfD dispose désormais aussi de la garantie d’une infrastructure professionnelle.
Au sein de la CDU / CSU résonnent depuis un moment tous les signaux d’alarme face à cette évolution : dans la perspective de la succession de Merkel, l’Union devra prendre en compte en interne les conflits qui vont se dessiner au sujet de son cours futur.
Ce que le Linkspartei est au SPD, l’AfD pourrait bien le devenir pour l’Union.

Patrick Gensing (traduction et adaptation de Tina)

Publikative, pour lire l’article en allemand ici