Tout ce qui fume n’est pas feu, ce que le complotisme fait aux luttes

À propos de confusionnisme, de complotisme et de conspirationnisme, ce texte (publié sur Iaata.info et dispo en brochure .pdf) propose éléments de définitions, exemples historiques et contemporains, interroge notre rôle et prend position pour ne pas laisser la place au complotisme dans nos luttes.

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Nos cercles politiques produisent de plus en plus de discours faisant du complotisme une radicalité comme une autre. Une radicalité en pensées et en actes (sabotages & émeutes que l’on aime tant) avec laquelle dialoguer, une radicalité à capter pour potentiellement nouer des complicités révolutionnaires. J’estime que c’est une erreur, et même un grand péril, tant politique que stratégique.

Avant de commencer, je pense nécessaire d’expliquer rapidement d’où je viens et pourquoi j’ai senti une certaine urgence à écrire un si long texte sur le complotisme et le rapport que nos milieux (anti-autoritaires/libertaires/autonomes) entretiennent avec ce système de pensée.

J’ai un usage assez intense d’Internet. Il m’arrive de passer beaucoup (trop) de temps à regarder des vidéos produites par des complotistes, naviguer sur leurs groupes de discussion et parfois tenter d’initier un dialogue (spoil : ça ne marche pas). J’ai aussi un rapport plus direct, disons IRL avec le complotisme par mes proches et mon vécu.
Depuis 2015, j’ai perdu de vu un ami du lycée après une discussion agitée où il refusait de reconnaître l’antisémitisme de Dieudonné.
En 2016 sur la ZAD de NDDL au cours d’une conversation, un⋅e ami·e d’ami·e me parle de reptiliens (une espèce humanoïde intelligente qui, dans certaines théories conspirationnistes, se cacherait sous terre et manipulerait l’humanité). Je crois à une blague, la discussion se poursuit, elle est sérieuse et croit réellement à l’existence des reptiliens.
Le beau-frère d’une amie lui envoie régulièrement de très longues vidéos complotistes complètement délirantes qu’il pioche sur YouTube. Il refuse toute discussion rationnelle et argumentée pour répondre systématiquement à la contradiction par plus de vidéos complotistes à rallonge.

Enfin avec la crise du Covid19 on trouve dans nos milieux politiques des textes opposés à la gestion sanitaire de l’État utilisant des arguments créés et diffusés dans les milieux complotistes. Parallèlement, je constate que nos cercles politiques produisent de plus en plus de discours faisant du complotisme une radicalité comme une autre. Une radicalité en pensées et en actes (sabotages & émeutes que l’on aime tant) avec laquelle dialoguer, une radicalité à capter pour potentiellement nouer des complicités révolutionnaires. J’estime que c’est une erreur, et même un grand péril, tant politique que stratégique. J’expliciterai plus en détails, mais avant il est nécessaire de faire un point sur l’usage des mots conspirationniste, complotiste et confusionniste.

Je tiens également à préciser que l’objectif de ce texte n’est ni de faire du fact-checking (même si nos milieux en auraient parfois bien besoin…), ni d’expliquer par la sociologie ou la psychologie sociale les mécanismes du complotisme, mais d’explorer les enjeux politiques de ces mouvements. Enfin ce texte contient des citations de propagandistes d’extrême-droite violemment racistes mais malheureusement nécessaire pour appuyer mon propos.

1. Confusionnisme, complotisme et conspirationnisme, tentative de définition

Le confusionnisme, une stratégie de l’extrême-droite

Le confusionnisme est une pratique consistant à utiliser alternativement ou en les mêlant des théories, postures et vocabulaires de courants politiques antagonistes. Pour l’extrême-droite c’est un outil de propagande et de recrutement. L’objectif premier est de brouiller les lignes politiques nécessaires à la compréhension du monde ou à analyser des discours, de désarmer intellectuellement l’adversaire politique en lui confisquant l’usage de ses mots tout en les vidant de sens. Le second but est de donner une couleur « sociale » à l’extrême-droite en recyclant les thèmes de la gauche. C’est une technique utilisée depuis des années par l’extrême-droite, au point que ce courant politique a été nommé à la fin des années 90 les « rouge-bruns ».

Un type comme Alain Soral en a fait sa spécialité, mais il n’est pas nécessaire d’être aussi de se revendiquer « national socialiste » comme Soral pour manier cette rhétorique. Darmanin déclarait dernièrement « Monsieur Zemmour a une vision très marxiste des choses, d’ailleurs il le revendique lui-même. C’est intellectuellement intéressant parce que c’est peut-être un des derniers marxistes ». Il le qualifie également de « libertaire » au cours de la même interview !!! [1]

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