CorsePalatinu : l’identité corse au service du fascisme

A Manca, mouvement indépendantiste corse anticapitaliste et antifasciste, a analysé le discours de l’association réactionnaire Palatinu pour en exposer les racines fascistes.

La stratégie politique qui est assumée par la mouvance organisée autour de l’association Palatinu ne peut plus être ignorée ou minorée quant à sa dangerosité.

Cette mouvance va bien au-delà de la façon dont elle se définit elle-même : « une tendance conservatrice très ferme sur les questions relatives à l’identité traditionnelle, l’héritage chrétien de la Corse, le prisme civilisationnel et le refus des revendications importées par la gauche parisienne woke et le souci d la question migratoire ». Cette mouvance incarne un retour aux fondamentaux de la pensée fasciste dont l’offensive actuelle en direction du mouvement national et de la société corse en général est sans précédent depuis les années 1930.
Le discours apparemment très construit de cette mouvance qui s’articule autour de la défense de l’identité corse doit être analysé rigoureusement.

L’identité comme socle d’un néo-fascisme corse

Les contributions de Palatinu sont assez nombreuses (blog, Valeurs Actuelles, Corse Matin, etc.) pour en délimiter un corpus idéologique précis. L’ancrage se veut nationaliste, au sens premier du terme, c’est à dire ce qui d’après eux doit faire Nation. Leur modèle de nationalité est fondé sur une Terre, sur la défense du modèle familial organisé par l’Église, un ensemble de traditions axé autour d’une pratique de la religion catholique apostolique et romaine et in fine la défense de la civilisation européenne et chrétienne. Si la citoyenneté renvoie aux choix précis de règles de vie communes, la communauté nationale est une création fondée sur un récit national qui peut différer selon le discours dominants et les périodes.
Pour Palatinu, la définition du Corsu Sceltu, s’articule autour de principes classiques issus des courants de pensée néofascistes :
 Le vrai Corse combat le wokisme, il faut comprendre toute promotion de droits nouveaux et de libertés individuelles. Depuis peu, le mot ‘wokisme’ remplace dans leurs sémantiques habituelles ‘Droitdelhommistes’ et ‘mondialistes’.
 Le vrai Corse combat la féminisation de la pensée, pour ne pas dire les droits des femmes. Leur structuration de la pensée doit rester une affaire d’homme viril et le rôle de la femme est de pondre de nouveaux petits Corses. Dans leurs assemblées conviviales à la gloire de l’homme viril, les membres de Palatinu reprennent le look Babtou solide des identitaires français d’il y a 10 ans.


 Le Vrai Corse combat les idéologies tiers-mondistes et la Gauche. La gauche menacerait une identité intellectuelle spécifique corse en introduisant l’écriture inclusive et la « théorie du genre ». Le Corse doit donc se soumettre au modèle de pensée unique, réactionnaire et néo-conservateur. Le Vrai Corse est donc de droite et d’extrême droite.
 Le Vrai Corse combat le péril arabo-musulman. Toute une communauté de croyants est réduite à une de ses expressions fondamentalistes et islamo-fascistes. Cela relève d’un procédé de généralisation d’un racisme classique.
 Le Vrai Corse combat la communauté de destin, réduite à un péril immigrationniste porté par les traîtres de gauche dans le mouvement national.
 Le vrai Corse combat la bien-pensance. Il doit aborder tous les problèmes de façon simpliste et manichéenne, c’est à dire sans pensée complexe, en s’arc-boutant que sur l’irrationnel et l’émotionnel.
Le vrai Corse serait donc mal-pensant.
Vrai Corse ? Sûrement pas ! Néofasciste de base oui, et d’un grand manque d’originalité dans le discours.

L’identité contre la culture

Si les membres de Palatinu sont si fondamentalement attachés au modèle de pensée unique c’est précisément que l’identité corse, et la conception identitaire en général, repose sur la reproduction à l’identique d’un individu normé et de la tradition qui lui sert de contexte socio-historique. Une communauté de clones ethnocentrés et ethnoculturels.

Marche aux flambeaux de Palatinu le 8 décembre 2022

La culture est le ciment intergénérationnel qui permet aux individus et aux peuples de se projeter et d’évoluer à partir de racines communes. La culture est polymorphe et vivante. Elle se nourrit d’apports, de débats, de confrontations d’idées et elle se régénère en fonction des conditions de développement socio-historiques de sa société propre.
Ce processus doit se faire sans contraintes, ce qui n’est pas le cas en Corse puisque la puissance tutélaire française et intégrationniste a tout mis en œuvre pour anéantir la langue et la culture corse.
La défense des droits linguistiques et culturels du peuple corse, n’est pas une posture identitaire, c’est un combat culturel et démocratique essentiel contre l’acculturation.
La posture identitaire, c’est la volonté de réduire la culture corse à une seule expression normée et figée, c’est le recours à l’amputation et au rabougrissement culturels.
Ce phantasme est une insulte aux lois du vivants et à la diversité humaine, en Corse comme ailleurs. Vouloir conditionner la pensée corse à un modèle reproductible et unique ne peut produire que des tares intellectuelles et morales, tout comme la consanguinité peut produire des tares physiologiques.
Avec l’accès à notre culture dans sa diversité, nous pouvons construire une société épanouie. Avec la pensée unique identitaire, c’est l’avènement d’une société barbare, porteuse d’inculture et tarée qui se profile.

L’identité contre le droit à l’autodétermination du peuple corse

Le discours identitaire permet de contourner la question institutionnelle et la question des droits politiques et culturels du peuple corse.
Pour Palatinu « la question corse n’est pas une question qui oppose des colonialistes à des colonisés. La Corse n’est pas une colonie ». En Corse, il y aurait juste une population périphérique rurale un peu turbulente confrontée à une élite parisienne. Et d’ailleurs il serait temps de mettre un terme à une confrontation qui dure depuis 50 ans, car elle ne se justifiait pas en fin de compte.
C’est de fait une négation de la conquête armée violente, négation de la spoliation des terres communes, négation des lois scélérates et assimilatrices et in fine la négation du peuple corse et de son droit légitime et démocratique à l’autodétermination puisqu’il ne s’agit que d’une population française rurale périphérique.
Ce révisionnisme historique et simplificateur relève de la négation d’une question corse. Le continuum historique est donc réduit à quelques ruraux en perte d’identité confrontés principalement au péril islamiste, car chaque immigré du sud serait un islamiste menaçant en puissance. Combattre sans concessions les islamistes est une bonne chose, combattre les musulmans sans distinctions relève du racisme.
Pas étonnant dès lors que Palatinu reprenne à son compte les écrits d’A Muvra sur la défense de l’identité et de la langue corse des années 1920.

Sur le site de Palatinu

Mais là aussi, il faut être précis.
Les autonomistes des années 1920 étaient d’opinions diverses. On pouvait y croiser d’anciens membres de la SFIO aux côtés d’hommes d’Église. Et il serait simpliste de réduire toutes les composantes d’a Muvra au courant irrédentiste. Le 10 juillet 1938 à Bologne, durant un colloque sur « L’italianité de la Corse », le père Alfonsi déclara : « Les Corses ont des origines communes avec les Italiens mais sont absolument détachés d’eux ». C’est un fait, mais c’est surtout l’évolution politique majoritaire de ce courant qu’il faut garder en mémoire.
La majorité des muvristes à la fin des années 1930 n’ont pas rompu leurs liens avec les intellectuels fascistes italiens, ne se sont pas opposés au projet d’annexion de l’Italie et ont soutenu un régime fasciste clairement hostile aux autonomies régionales. L’idéologie a prévalu sur toute autre considération. De même, on ne peut pas passer sous silence les publications d’A Muvra en défense d’Hitler et du combat antisémite et antimaçonnique de 1930 au 1er septembre 1939. Ce fond idéologique est passé avant les droits politiques et culturels du peuple corse.
On ne peut être que frappés par les similitudes entre l’évolution passée d’A Muvra et le discours présent de Palatinu. Une grande cohérence idéologique pour une même finalité sans doute.

L’identité ciment de toutes les extrêmes droites en Corse

Le 17 mars 2004, Olivier Martinelli, responsable du Front National déclarait : « La communauté de destin c’est un leurre imposé par les jacobins (…) Le peuple corse est un petit peuple dont il faut défendre l’identité ».

Olivier Martinelli avec Jean-Marie Le Pen (photo : Stephan Agostini)

La mère patrie française peut bien défendre son petit enfant turbulent et un peu à part. L’infantilisation contre l’émancipation à travers le prisme de l’identité façon Maurras, déjà. A l’époque nous avions alerté l’ensemble du mouvement national sur la porosité de la base à l’entrisme de l’extrême droite française et sur la nécessité de définir clairement ce qu’était la communauté de destin fondée sur une citoyenneté corse spécifique.
Dix ans plus tard, Denis Luciani attaquait le concept de Communauté de Destin dans la presse insulaire.

De gauche à droite : Leia Naziunale, Christiani Corsi, Vigilanza Naziunale Corsa

Des groupes comme Christiani Corsi, Leia Naziunale, Vigilanza Naziunale Corsa, etc. ont fleuri par la suite sur ce terreau fertile et ont continué un travail d’influence à la périphérie et dans les contre-pouvoirs sans que cela ne fasse réagir les responsables nationalistes.
Aujourd’hui, cette stratégie initiée par Martinelli a opéré un bond qualitatif et quantitatif. La nature politique a horreur du vide, et faute pour les organisations nationalistes d’avoir fait la formation de cadres politiques sur un projet de société corse précis, Palatinu devient pour l’heure le point de convergence et/ou de référence central de toutes les extrêmes droites en Corse, de nationalistes corses et de nationalistes français.
François Filoni ne s’y est pas trompé et a compris tout le potentiel des recompositions en cours.

François Filoni (à gauche)

Déjà précis sur son opposition à l’autonomie de la Corse et sur le combat civilisationnel, il a tendu quelques perches lors de sa dernière conférence de presse sur les retraites. En compagnie d’un député RN il a réaffirmé son opposition à l’Autonomie en mettant grossièrement en avant la question du financement des retraites insulaires, mais il a aussi parlé de la nécessité de prendre en compte et de préserver la spécificité de l’identité corse.
Les choses sont claires, et la stratégie de la tenaille contre toutes celles et ceux qui se battent pour les droits politiques et culturels du peuple corse se précise.
Palatinu a désigné publiquement ses ennemis en Corse et entraine les plus jeunes qui gravitent autour d’eux vers des passages à l’acte. C’est la prochaine étape, et ce, à court terme. Le discours et les méthodes sont identifiés. Toutes les personnes qui apportent leurs cautions ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Aux personnes attachées à la construction d’une société corse démocratique d’organiser les réseaux de résistance nécessaires.

A Manca