C’est la tradition : Jeanne d’Arc excite l’extrême droite, et à Orléans plus qu’ailleurs, avec son lot d’incidents comme seuls les nationalistes sont capables d’en produire…

À Orléans, on ne rigole pas avec Jeanne d’Arc. Ainsi, plusieurs centaines de fidèles ont pu participer à la traditionnelle messe qui s’est déroulée comme chaque année dans la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, avec tout le gratin politique : le maire LR Serge Grouard, le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, la députée LREM Stéphanie Rist…

Bienvenue au XXIe siècle - Photo : Radio France - Marine Protais

Cet œcuménisme autour de Jeanne d’Arc va si loin que Grouard avait même financé et commandé à France 3 Centre-Val-de-Loire un documentaire commenté par l’ultra-réac Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles et qui avait incarné Jeanne d’Arc durant les fêtes johanniques de 2002 à Orléans !

Le documentaire ne sera finalement pas diffusé à la télé, mais uniquement sur le site de la ville, à la suite de quoi le directeur de France 3 Centre-Val-de-Loire a été menacé par téléphone : « On va s’occuper de ta gueule », « On va faire une visite chez toi, ça te permettra de réfléchir avant d’agir »… Le ton est donné.
De son côté, le petit monde national-catholique avait aussi prévu quelque chose, sous couvert d’un rassemblement dont on verra qu’il n’avait d’« apolitique » que le nom. D’abord interdit, le rassemblement a finalement été autorisé après avoir changé son objet (aucune manifestation dans la rue en l’honneur de Jeanne d’Arc, même officielle, n’était autorisée) : les organisateurs ont ainsi prétendu vouloir « protester contre les mesures de lutte contre l’épidémie », alors que de l’aveu même de l’un des chanteurs, « on était juste là pour chanter pendant une heure, en hommage à Jeanne ».

À gauche : l’affiche du rassemblement de cette année. À droite : une des conférences organisées par France Souveraineté l’an passé.

Le rassemblement avait été déposé par François Moury, représentant de La Manif Pour Tous dans le Loiret, mais il y avait au moins deux autres organisateurs. L’an passé, c’est France Souveraineté, une petite association réactionnaire créée en octobre 2015 sur Orléans par Loïc Yven [1], qui avait organisé un hommage public.

Loïc Yven, de France Souveraineté.

France Souveraineté avait aussi organisé des conférences [2] sur le thème « quand l’Eglise et la République honorent Jeanne d’Arc… l’union sacrée ? ». Parmi les intervenants, le journaliste Hilaire de Crémiers (responsable de l’Action française dans les années 1990 et toujours proche du mouvement [3]), ou encore l’avocat royaliste catho tradi Jacques Trémolet de Villers. On imagine la teneur du « débat » !
Le point commun entre le rassemblement de cette année et celui de France Souveraineté l’an passé, c’est la présence du Chœur de l’Oriflamme, une association créée en 2018, spécialisée dans le chant traditionnaliste, qui propose des cours et participe à des événements. Or, au sein de cette chorale exclusivement masculine, nous avons retrouvé une vieille connaissance : Vianney Alphé.

Vianney Alphé au sein de la chorale de l’Oriflamme.

Dans les années 2000, Vianney est proche du groupe de rock identitaire Francs-Tireurs Patriotes : le groupe est fondé en 2009 par deux Parisiens, Tanguy et Philippe, rapidement rejoints par le rappeur néonazi Fasc, puis plus tard par le chanteur d’Europa Nostra, proche du Renouveau français (un mouvement national-catholique antisémite particulièrement actif durant les Manifs pour Tous), tout comme les FTP : c’est d’ailleurs à l’université d’été du mouvement en 2009 que le groupe fait son premier concert, avec Europa Nostra.

Vianney Alphé et ses amis des FTP en 2009.

Mais Vianney est plus discret que son frère, Yves Alphé, qui lui se fait connaitre sur internet, entre 2006 et 2016, comme l’un des pionniers du rap d’extrême droite, sous le nom de Goldofaf. Yves Alphé n’a pas de talent, mais il a des convictions : chanson à la gloire du nazi Léon Degrelle, récit de baston avec des « crouilles » (le mot est de lui), un clip vidéo tourné dans le local de Serge Ayoub en compagnie d’Esteban Morillo, l’un des meurtriers de Clément Méric… Des convictions qu’il met aussi au service du Renouveau français, dont il est l’un des représentants dans les années 2010, en particulier sur Orléans.

Photos extraites du clip de Yves « Goldofaf » Alphé, tourné en 2013 « Le rêve parisien », tourné au local de Serge Ayoub.

Les deux frères sont en bons termes, puisque Yves a fait embaucher Vianney en 2019 dans l’entreprise de pompes funèbres orléanaise qu’il a fondée.

On le voit, si le Renouveau français a annoncé en juin 2017 la « mise en sommeil de ses activités militantes », ses militants et sympathisants sont restés dans la région. C’est également le cas de Gaetan Pichonnat, qui se trouvait au rassemblement en hommage à Jeanne d’Arc samedi dernier. Mais comme il faisait beau ce jour-là, Pichonnat avait laissé ses bras découverts, exhibant ses tatouages, dont l’un a fait le tour des réseaux sociaux, puisqu’il comporte une croix gammée :

Pour notre part, nous lui laissons le bénéfice du doute : il s’agit peut-être d’une araignée à quatre pattes, Pichonnat ignorant que les arachnides en ont huit…

Ce tatouage n’a pas été du goût de la police, qui l’a arrêté et lui a dressé une contravention de 5e classe, pour « port ou exhibition publique d’emblème rappelant une organisation criminelle ». Pour se défendre, Pichonnat aurait parlé d’une « erreur de jeunesse » (il n’a pourtant que 25 ans), arguant également du fait que, les salons de tatouage étant fermés, il n’aurait pas eu le temps de le faire recouvrir… Dommage : heureusement, il pourra bientôt mettre un dauphin à la place.

Photo : La République du Centre

Le pauvre Gaetan n’était pourtant pas au bout de ses peines : car le lendemain, monté à Paris pour accompagner son ami Yvan Benedetti pour un autre hommage à Jeanne d’Arc (ce n’est plus de la passion, c’est de la rage), il va se retrouver, bien que restant prudemment à l’écart, au centre de l’altercation entre ce dernier et l’Action française (sur lequel nous reviendrons dans un article à venir), dont les militants criaient « les nazis à Berlin », ignorant que Pichonnat vient en fait d’Orléans.

Capture d’écran de la vidéo de l’agence LDC.News de Jimmy Leopold, candidat sur une liste FN en 2013 et compagnon de route journalistique de l’extrême droite radicale.

Mais revenons au rassemblement de samedi : sans cette histoire de tatouage, les trente personnes rassemblées pour subir les bramements mâles du Chœur de l’Oriflamme accompagné à la trompe de chasse seraient passées inaperçues, et ce d’autant plus qu’une autre manifestation, cette fois organisée par les intermittent·es du spectacle, avait lieu au même moment, rassemblant elle environ deux cents de personnes. Pastichant l’actualité johannique, les manifestant·es défilaient joyeusement pour bouter la réforme de l’assurance chômage, comme Jeanne d’Arc a bouté les Anglais hors de France !

Mais ce petit détournement n’a pas été du goût de tout le monde (on se demande bien qui…), et dans la nuit du 8 au 9, les occupant·es du théâtre d’Orléans ont été violemment pris·es pour cible. Voici les faits tels qu’ils sont décrits dans leur communiqué officiel : « vers 1h du matin un groupe de 5 a 6 individus a fait irruption par effraction dans le théâtre. Ils ont poursuivi leur sinistre projet en agressant tout de suite le vigile du théâtre à coups de poing avant de le maîtriser au sol ... Les autres se sont aventurés dans le théâtre avant d’être raccompagnés le plus calmement possible vers la sortie. Une altercation a alors éclaté et une volée de coups s’est abattue sur le groupe d’occupant.e.s mais face à notre nombre et notre détermination à ne pas se laisser intimider et violenter, les individus ont pris la fuite. Le bilan, sans être préoccupant, nous semble déjà beaucoup trop lourd : 3 occupant.e.s du théâtre aux urgences avec des hématomes, des points de suture, et le vigile blessé et choqué comme nous tout.e.s. »

Aussi, si les déboires des admirateurs nationalistes de Jeanne d’Arc prêtent parfois à sourire, la violence dont l’extrême droite se montre capable nous rappelle le danger qu’elle représente : à nous de nous mobiliser contre elle, à Orléans comme ailleurs !

La Horde

Notes

[1formé à l’Institut de Formation Politique (IFP), par lequel est passé entre autre Marion Maréchal

[2En janvier 2016, Yven, qui fait largement la promotion de l’IFP, avait organisé une première conférence avec Charles Beigbeder et le maire de Montfermeil, Xavier Lemoine, deux figures de la droite national-conservatrice proches de l’Avant-Garde ; puis, deux mois plus tard, c’est au tour de Jean-Frédéric Poisson, le président du mouvement VIA (ex-Parti Chrétien-Démocrate), suivi de Guillaume de Thieulloy (directeur du Salon beige), Martial Bild de TV Libertés… Tous les réacs y passent !

[3il était en mars dernier sur TV Libertés pour la sortie du livre de François Marcilhac