RNLe Pen : L’école de la répression et des inégalités

Le Café pédagogique, un site animé par des enseignantes, a décortiqué le programme de Marine Le Pen concernant l’école.

Sous prétexte de "mettre fin au laxisme", le programme de Marine Le Pen envisage une refonte totale de l’école, du collège et du lycée , du métier enseignant mais aussi des programmes et des manuels. C’est le grand chambardement qui est annoncé. Avec un vrai appétit de revanche, car l’éducation est l’institution qui, aux yeux de son équipe de campagne, est la plus atteinte de "wokisme" et d’idéologie. Son programme éducation, présenté dans une brochure et par son équipe de campagne, ramène l’école très en arrière en ce qui concerne la sélection des élèves. Il aggraverait fortement les inégalités en imposant un tri des élèves dès la 5ème. La criminalisation de l’ordre scolaire et la surveillance idéologique des enseignants par les inspecteurs aboutirait à généraliser la violence dans les établissements scolaires. L’école rêvée par Marine Le Pen, c’est celle des discriminations et de la répression.

Suppression de l’éducation prioritaire

La mesure peut-être la plus importante est la suppression de l’éducation prioritaire. C’est suffisamment important pour que M Le Pen envisage une réforme constitutionnelle pour interdire l’éducation prioritaire. Elle est accusée de créer "une discrimination" entre les élèves, puisque davantage de moyens sont fléchés vers les quartiers où se concentrent le plus de difficultés. L’éducation prioritaire représente aujourd’hui 20% des élèves. JM Blanquer a commencé à s’y attaquer en créant des contrats locaux qui pourraient aboutir à la suppression des Rep. L’argument de M Le Pen est le même que celui de JM Blanquer : il faut donner plus de moyens au rural, peut-être considéré comme plus "blanc", même si les études sociologiques montrent que le rural n’est défavorisé ni socialement ni sur le plan des résultats scolaires (et encore moins sur celui des moyens).
A ce titre les dédoublements seraient revus. Toutes les classes seraient limitées à 20 élèves au primaire et 30 dans le second degré. Les postes accordés en GS, CP et CE1 à 12 dans l’éducation prioritaire seraient donc réaffectés ailleurs. Cette mesure favoriserait surtout le privé. On compte 21 élèves en moyenne par classe dans les écoles élémentaires publiques et 25 dans les écoles privées sous contrat. Au collège on compte en moyenne 25 élèves dans le public et 27 dans le privé. Au lycée c’est 28 et 27. La barre mise à 30 dans le second degré dégraderait donc la situation au collège, là où les élèves ont davantage besoin d’encadrement. Elle améliorerait les choses dans certains lycées mais au détriment d’autres. En tous cas cette réforme ne nécessiterait pas de moyens supplémentaires. D’ailleurs l’équipe de campagne de M Le Pen ne chiffre pas le nombre de postes nécessaires. On verra plus loin qu’en réalité les réformes portées détruiront des postes.

5 heures de cours en plus à l’école

L’école primaire serait totalement réorganisée. M Le Pen annonce un allongement de la durée de l’enseignement. Son équipe estime qu’il faut ajouter une heure de cours par jour, soit 5 heures par semaine. "Il faut axer l’enseignement primaire autour de 3 matières", dit son équipe de campagne : le français, les maths et l’histoire. On sait que l’école française est déjà la championne d’Europe des fondamentaux. Ils absorberaient la quasi totalité du temps scolaire. Disparaitraient les autres enseignements et les "éducations à" très mal vus par M Le Pen. "Il faut mettre fin à toutes ces expériences pédagogistes qui mettent en action les élèves", explique l’équipe de campagne. Par exemple tout ce qui est interdisciplinaire.

Orientation des élèves dès la 5ème

Le collège doit aussi être réorganisé. D’abord l’orientation doit y prendre plus de place avec un appel aux entreprises pour y participer. Surtout la sélection doit commencer dès la 5ème. "Les élèves ne doivent pas être obligés d’aller en 3ème", explique son équipe de campagne. Elle nous dira plus tard aussi "qu’il y a trop de monde en lycée". Dès la 5ème l’administration oriente les élèves vers l’apprentissage et la voie professionnelle. On a là une source de suppressions de postes importante que l’équipe de campagne ne chiffre pas. Bien entendu c’est la fin du collège unique.

"Il y a trop de monde au lycée"

A la fin du collège tombe le couperet du brevet. Le brevet serait un examen "fortement réévalué" qui déciderait de l’orientation. En fonction de sa place dans les résultats du brevet, les élèves iraient ou non en lycée. Le brevet déciderait de l’envoi en apprentissage, dans la voie professionnelle ou dans telle ou telle filière du lycée, puisque les filières y seraient rétablies. Cet écrémage permanent dès la 5ème permet de dégager des postes. Du coup M Le Pen promet un bac réévalué sans baisse du taux de réussite : seuls les élèves les plus forts auront accès à la terminale. Les autres seront éliminés bien avant.
Les systèmes qui pratiquent ce filtrage continu au détriment du tronc commun, cela augmente les inégalités sociales. Ce sont les enfants des milieux défavorisés qui ont besoin de plus de temps pour construire leur niveau. En supprimant l’éducation prioritaire et en établissant un barrage en 5ème puis en 3ème, M Le Pen rétablirait l’enseignement qui existait avant les années 1930 avec une voie pour la bourgeoisie, celle du lycée étendu au collège et un primaire allongé jusqu’en 5ème pour les enfants du peuple.

Revalorisation au mérite

Cette politique se traduirait par une baisse importante des moyens d’enseignement. S’il y a moins d’élèves au collège et au lycée, on a forcément besoin de moins de professeurs du 2d degré. Dans le premier degré, les professeurs verront leur obligation de service augmenter de 5 heures hebdomadaires.
Tout cela permet la "revalorisation" promise par M Le Pen. Elle promet une hausse des salaires de 3% par an pendant 5 ans. Mais cette revalorisation concernerait prioritairement les débuts de carrière. Et elle sera liée au mérite. Les professeurs qui en font plus seront mieux payés, explique son équipe de campagne. Par exemple seront revalorisés les professeurs encadrant des voyages à l’étranger ou les professeurs principaux. Il est possible qu’à l’école la hausse de 3% des salaires soit liée aux 5 heures devant élèves ajoutées au temps de travail hebdomadaire. Nous n’avons pas de précision là dessus.

Un budget en forte baisse

Le chiffrage budgétaire des mesures annoncées reste flou. Mais la diminution du nombre d’élèves en scolarité, au collège et au lycée devrait libérer suffisamment de postes. M Le Pen prévoit aussi des suppressions de postes administratifs et de professeurs "qui ne sont pas devant élèves". Cette dernière mesure vise les syndicats qui disposent de 2390 décharges (contre 2500 en 2019). La suppression des postes administratifs est présentée comme une panacée miraculeuse. Mais en fait sur les 320 000 non enseignants qui travaillent pour l’éducation nationale on compte 180 000 AED (surveillants), 20 000 postes de direction et 80 000 administratifs qui ne sont pas pour autant inutiles : psychologues chargées de l’orientation, secrétaires et gestionnaires des établissements etc. S’agit-il de supprimer les 125 000 AESH ? Ou de demander au nom de la méritocratie aux professeurs de remplacer les surveillants ?

Criminalisation des délits scolaires

La réforme éducative proposée par M Le Pen est, on l’a vu, socialement très violente. Elle introduira aussi dans les écoles et les établissements, un niveau de violence encore jamais vu. M Le Pen prendra une loi contre l’islamisme qui aura un volet scolaire. Elle annonce "un signalement automatique au procureur de la République et une répression automatique des menées islamistes" avec passage d’amendes au pénal. Les accompagnantes de sorties scolaires ne pourront plus porter le voile, ce qui supprimera ces sorties là où elles sont le plus nécessaires et créera du ressentiment envers l’école. On assistera à une judiciarisation de l’ordre scolaire avec envoi devant les tribunaux des faits relevant de l’ordre scolaire. On a pourtant vu les dégâts de ce système dans d’autres pays comme les Etats Unis.

Chasse aux sorcières chez les professeurs

Mais M Le Pen n’entend pas s’arrêter là. Son parti parle de rétablir l’autorité des professeurs. Il oublie de parler de l’autorité sur les professeurs. Le programme nous promet pourtant une belle chasse aux sorcières. Le Pen veut "le renforcement de l’exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant en matière politique, idéologique et religieuse". Elle annonce donc "l’accroissement du pouvoir de contrôle des corps d’inspection en la matière et l’obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l’encontre des encadrants". Une police de la pensée s’abattrait sur les enseignants pour faire le tri, aligner les enseignants sur l’ordre nouveau instauré par le parti.
Son équipe de campagne annonce la fin des INSPE qui seraient remplacés par une formation sur le tas par des collègues méritants. Mais pas seulement parce que ce sont des nids de "pédagogistes". Pas seulement pour faire des économies. Parce que "l’idéologie qui y règne est incompatible avec la neutralité des enseignants", explique l’équipe de campagne. "Ca devra être combattu". Le Pen va aussi revoir les programmes et les manuels. "Les programmes sont influencés par l’idéologie en histoire, géographie, langues, français", dit l’équipe de campagne. "On critique tel pays et pas tel autre", relève t-elle. On ne sait s’il s’agit de la Russie. "Dans les programmes d’histoire on sent pointer le wokisme, la repentance permanente. On enseigne la décolonisation", peste l’équipe de campagne.
On mesure ainsi les bouleversements sociaux, éthiques, professionnels qui s’abattraient sur l’Ecole en cas de victoire de M Le Pen à l’élection présidentielle. Le programme de M Le Pen signe la mort de l’école de la République et la fin de carrière pour des milliers d’enseignants.

François Jarraud