Nouvelle Droite, GRECE, « Gramscisme de droite », autant de termes parfois utilisés pour désigner une frange bien particulière de l’extrême droite. Pourtant peu de gens ont pris le temps de s’attarder à définir réellement ce qu’était le Nouvelle Droite ou à s’attacher à étudier les différents courants qui ont traversé l’histoire du GRECE (Groupement de Recherche et d’Etude sur le Civilisation Européenne).

A travers plusieurs articles thématiques regroupés dans le livre sur Alain de Benoist, Guillaume Faye, les rapports entre le nazisme, l’écologie, l’alt-right, la mouvance identitaire et la Nouvelle Droite, Stéphane François fait le point sur des questions complexes. Comme on peut s’en rendre compte à la lecture du livre et aux parcours de certains de ses acteurs, la Nouvelle Droite n’est pas quelque chose d’homogène ou monolithique. Ses membres ont pu évoluer sur des questions comme la religion (christianisme, paganisme), leur positionnement par rapport aux Etats-Unis, l’antisémitisme, l’Islam, voire parfois des volte-face importants.
Comme pour les derniers livres de Stéphane François nous lui avons posé plusieurs questions autour de la Nouvelle Droite et des problématiques abordées pour présenter son livre La Nouvelle Droite et ses dissidences.

1/Comment définir la Nouvelle Droite : Une contre-culture d’extrême droite ? Un courant de pensée ?

La Nouvelle Droite est un courant de pensée important de la droite radicale française, distinct d’autres tendances comme le catholicisme traditionaliste, le nationalisme, etc. La Nouvelle Droite n’était ni catholique, bien au contraire, ni nationaliste. Durant longtemps, elle était plutôt païenne (d’inspiration nietzschéenne puis heideggérienne), régionaliste, européiste, écologiste, etc. Si elle a beaucoup évolué doctrinalement, on peut néanmoins déterminer une constante : l’obsession d’une identité européenne à préserver du mélange (culturel et ethnique), d’une dissolution dans une culture mondiale. C’est dans la mouvance néo-droitière des années 1970 qu’ont infusé les idées qu’on appelle aujourd’hui « identitaires ».

Publications du G.R.E.C.E.
Publications du G.R.E.C.E.

En outre, il faut faire une distinction entre le GRECE (groupement de recherche et d’étude de la civilisation européenne) et la Nouvelle Droite. Le premier a été fondé en 1968/69 par d’anciens d’Europe Action ; la seconde est le nom donné au premier et à ses structures satellites par des journalistes lors de la campagne médiatique de 1979. Par extension, j’utilise la seconde expression pour délimiter une tendance idéologique composée du GRECE et de ses dissidents qui, s’ils ont quitté le GRECE – souvent pour des disputes avec Benoist– n’en ont pas moins gardé une proximité idéologique, surtout avec les premiers corps de doctrine…

Ses conceptions du monde ont influencé une partie de l’extrême droite, depuis sa fondation jusqu’à aujourd’hui, notamment en ce qui concerne à la fois les stratégies à mettre en place et les positions doctrinales. L’ethnodifférentialisme, la mixophobie, les idées d’une civilisation européenne et d’une ethnie européenne à préserver d’une « colonisation » se sont diffusés dans ces milieux. Elle est, en cela, à l’origine des discours identitaires. Mais, comme vous le faites remarquer, elle peut être vue aussi comme une contre-culture, en particulier par sa promotion –passée– d’un paganisme, ou plutôt d’un néopaganisme.

2/ A la lecture de votre livre, la Nouvelle Droite apparaît comme une entité complexe et en perpétuelle évolution, avec de multiples chapelles. Comment expliquer cette impression ?

Ce n’est pas une impression, pour deux raisons : 1/il a existé, et il existe encore, différentes sensibilités au sein de la Nouvelle Droite, qui se fécondent intellectuellement, mais qui insistent sur différents points doctrinaux. Certaines ont disparu : aujourd’hui, il n’y a plus de tendance technophile, prométhéenne – le dernier grand théoricien était Guillaume Faye, décédé en 2019 ; la tendance traditionaliste, au sens ésotérique du terme, très visible dans les années 1980-1990 semble suivre la même évolution… D’autres, qui avaient été mises de côté dans les années 1980, comme l’affirmation identitaire, connaissent actuellement un regain d’intérêt. De même, la question écologique et décroissante est importante depuis les années 1990.

Ces positions, qui peuvent sembler paradoxales, sont liées à la fois aux évolutions des membres de la Nouvelle Droite : d’une part, certains la quittent, soit pour aller dans d’autres courants de la droite radicale, soit abandonnent le militantisme ; d’autre part, ces évolutions sont intimement liées aux changements d’intérêt du « gourou » de celle-ci, son principal intellectuel organique depuis les années 1970, Alain de Benoist. Par ailleurs, certains militants historiques ont eu dû mal à comprendre, et à accepter, ces changements doctrinaux : le GRECE a vu le départ massif de ces cadres historiques dans les années 1980…

3/Pouvez-vous présenter Éléments et Krisis, deux revues majeures du GRECE ?

Premièrement, ces revues sont distinctes par leur statut : Éléments est le magazine de la Nouvelle Droite tandis que Krisis est la revue savante d’Alain de Benoist, créée par lui en 1988 à un moment où il affirmait avoir quitté l’extrême droite. Les premiers participants de Krisis étaient souvent, d’ailleurs, des personnalités de gauche ou d’extrême gauche. Cette revue est donc officiellement indépendante du GRECE, mais, dans la réalité, publie régulièrement des auteurs de celui-ci (quasiment à chaque numéro).

Le GRECE a bien une revue savante, qui lui est institutionnellement lié : c’est Nouvelle École, à parution annuelle ou bisannuel.
Deuxièmement, il y a une différence de nature : le premier est un magazine plutôt généraliste, vendu en kiosque, à diffusion plutôt importante, alternant en son sein des articles « varia », notamment polémiques, des brèves, des comptes-rendus de lecture, etc. et un dossier thématique. Son objectif est de toucher un public large. La deuxième est une revue savante, avec des articles pointus, de facture universitaire. Chaque numéro est centré sur une thématique : il y a eu, pour ne prendre que quelques exemples : « Tradition ? » en 1989, « Écologie ? » en 1993, « Progrès ? » en 2016, « Paganisme ? » en 2017, etc. De fait, elle voit la participation d’universitaires et d’intellectuels de différents bords idéologiques.

4/La Nouvelle Droite semble beaucoup s’appuyer sur des travaux et recherches d’universitaires et scientifiques pour appuyer ses thèses. Est-ce qu’il faut y voir un lien entre ces milieux et la Nouvelle Droite ? Où s’agit-il d’un détournement ?

L’utilisation de travaux universitaires et scientifiques est la « marque de fabrique » de la Nouvelle Droite depuis son origine. Elle a toujours voulu appuyer ses thèses, effectivement, sur des positions solides, savantes, afin de donner un aspect incontestable à des discours, qui l’étaient… Pensons, par exemple, au premier corps de doctrine de la Nouvelle Droite (en gros allant de 1968 à 1975) qui justifiait le racisme et l’inégalitarisme par de pseudo-démonstrations scientifiques… En outre, il ne faut pas oublier que Nouvelle École, fondée en 1968 par Alain de Benoist, a un comité de patronage prestigieux. Ensuite, plusieurs cadres importants, et même de membres fondateurs, de la Nouvelle Droite, sont ou ont été des universitaires ou des scientifiques. On y trouve des historiens, des linguistes, des biologistes, etc.

Parallèlement à cela, il y a également une stratégie de détournement de travaux universitaires pour asseoir scientifiquement leur thèse. Cela a été flagrant en ce qui concerne l’inégalitarisme et le racisme, mais aussi en ce qui concerne la question indo-européenne. On également parler de l’utilisation de références à des penseurs de gauche et d’extrême gauche pour reformuler des positions qui sont explicitement de nature nationalistes-révolutionnaires ou la mobilisation, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, de penseurs décoloniaux pour élaborer les thèses identitaires, conçues comme un décolonialisme inversé : préserver la civilisation européenne d’une colonisation extra-européenne (discours qui a d’ailleurs beaucoup de similitudes avec les thèses des suprémacistes blancs des années 1930 – l’américain Lothrop Stoddard qui craignait le « flot montant des peuples de couleur, je le cite– ou français des années 1950 comme l’ancien SS français René Binet).

5/L’influence de la ND aujourd’hui vous semble-t-elle plus importante que dans les années 70-80 ?

Plus, je ne sais pas. Aussi importante, assurément. Surtout, on voit que les idées de la Nouvelle Droite, après le recul des années 1980-1990, se sont diffusées hors de la droite radicale, dans différents segments de la société. C’est le cas, par exemple, de l’écologie d’extrême droite ou des positions antimodernes, dont on retrouve l’influence jusqu’à des catholiques comme les animateurs de la revue Limite ou à des sites de « gauche » comme le Comptoir ou Philitt. Les idées identitaires des années 1970 ont infusé depuis les années 1980 à l’extrême droite. On les retrouve, édulcorées, au Rassemblement national, surtout chez les anciens mégrétistes ou chez un Hervé Juvin (qui a une chronique d’ailleurs dans Éléments). Ainsi, son idéologie mixophobe est aujourd’hui banalisée, diffusée dans les médias de masse par des journalistes et des polémistes qui ne sont pas forcément, du moins à l’origine, des militants d’extrême droite. Éric Zemmour en est un bon exemple.

Alain de Benoist

6/Alain de Benoist est la figure centrale de la Nouvelle Droite et du GRECE. Pourtant, il semble isolé aujourd’hui dans la sphère militante et n’est clairement pas une référence pour les jeunes générations, qui lui préfèrent François Duprat ou Dominique Venner. Pourquoi ?

Je pense que cela est lié à la personnalité de Benoist : ses différentes évolutions, sa capacité à énoncer des points de vue qui semblent incompatibles, son utilisation de références intellectuelles venant de l’extrême gauche, etc. sont parfois déconcertantes pour les militants de la droite radicale. En outre, ses textes ont souvent une facture universitaire qui peut rebuter : il vient de publier une somme de 964 pages sur la vie de Jésus. Dans la mouvance, qui lira ça ? Benoist a été brocardé pour cela dans Réfléchir & Agir, pour ne prendre que cet exemple. Les militants du Bloc Identitaire le trouvaient à l’époque trop intellectuel… Il a aussi été moqué, notamment par Philippe Baillet ou Robert Steuckers, pour son peu d’intérêt pour les activités physiques ou sportives. On ne trouve pas ces travers chez Duprat ou Venner : ce sont des militants, qui exposaient clairement des positions idéologiques.

François Duprat à droite avec un livre sous le bras
François Duprat à droite avec un livre sous le bras

En outre, les deux ont une image que Benoist n’a pas : il s’agissait d’activistes qui n’ont jamais craint d’affronter la rue. Duprat, malgré sa myopie, était connu pour ses affrontements à coup de chaine de vélo avec les gauchistes dans le Quartier Latin. À cette image de militant, Venner en ajoutait une autre : celle du soldat, dans un premier temps (il a participé à la guerre d’Algérie), puis du « soldat politique », auréolé de son passé.

Dominique Venner
Dominique Venner


7/ Que reste-t’il de la Nouvelle Droite aujourd’hui ? Des structures comme l’Institut Iliade et Polemia appartiennent à la Nouvelle Droite selon vous ?

La Nouvelle Droite est devenue une constellation. Le GRECE n’existe quasiment plus. Seuls les thèses, les idées sont restées et se sont diffusées. Il faut dire que les membres du GRECE vieillissent, qu’il y a eu un déficit de recrutement et de renouvellement des membres, Benoist ayant fait le vide autour de lui et provoqué le départ des cadres historiques. Par contre, les idées se sont diffusées dans différentes structures évoluant dans la mouvance néo-droitière, dont font assurément partie l’Institut Iliade et la fondation Polémia. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder qui participent aux colloques de l’Institut Iliade et de lire les brochures qu’il publie. On trouve parmi les participants à l’un et à l’autre d’anciens membres du GRECE qui ne se sont jamais départis des idées de celui-ci, surtout celles issues des premiers corps de doctrine de la Nouvelle Droite, ouvertement identitaires. Par contre, ce qui est intéressant, c’est que Benoist ne joue plus une place centrale dans ces structures, bien qu’il y collabore. Elles se sont constituées sans lui : l’Institut Iliade a été créé pour perpétuer la pensée de Venner et la seconde pour diffuser les idées de Jean-Yves Le Gallou.

8/Dans le livre, le mouvement des Identitaires (Génération Identitaire, Les Identitaires …) est évoqué. Que doivent exactement les Identitaires à la Nouvelle Droite en terme idéologique ?

La mouvance identitaire a repris un certain nombre de points idéologiques à la Nouvelle Droite, comme l’ethnodifférentialisme, le paganisme (enfin pour Terre & Peuple et durant les premières années du Bloc Identitaire, symbolisé par une représentation celte d’un sanglier) ; le régionalisme « enraciné » (ethnique donc), l’européisme, le rejet de l’occidentalisation du monde ; l’idée d’une civilisation et d’une ethnie européennes, etc., voire de l’idée d’une future guerre civile et raciale, théorisée par Guillaume Faye. En effet, des électrons libres comme Guillaume Faye ont fait le lien entre les uns et les autres. Faye a été considéré comme l’une des grandes références identitaires avec ses livres des années 2000 (La colonisation de l’Europe, Pourquoi nous combattons, Avant-guerre), jusqu’à la parution en 2007 de La nouvelle question juive qui braquera une partie de cette mouvance. Enfin, on trouve aussi un héritage graphique, comme le casque spartiate stylisé de la même façon chez Europe Jeunesse (la structure « scout » de la ND) et chez les Identitaires.
Ensuite, il faut garder en mémoire que la première structure qui s’est revendiqué de l’« identitarisme » a été Terre & Peuple, a été fondée en 1994 par d’anciens néo-droitiers. De même, Jean-Yves Le Gallou, théoricien de la préférence nationale dans les années 1980 est passé par le GRECE durant la décennie précédente. Il a même participé au second volume des Mélanges offerts à Alain de Benoist, après des décennies de brouilles entre les deux. On trouve également d’anciens néo-droitiers dans les instances du Bloc Identitaire. Ces militants ont permis le passage d’idées entre les générations et les mouvements.

8/Ces dernières années on a beaucoup parlé d’alt-right aux États-Unis. Quelles sont les différences et les similitudes que l’on peut faire entre la Nouvelle Droite et l’Alt-Right ?

Avant toute chose, il faut préciser un point : ces deux milieux sont en relation : les auteurs de l’Alt-Right lisent les Français et réciproquement. En effet, quelqu’un comme Alain de Benoist s’est intéressé dès les années 1960, durant les années « Europe Action » donc, aux racistes universitaires états-uniens. Une influence et des références qu’on retrouvera durant les premières années du GRECE. Par la suite, les Américains ont traduit (par exemple via les équipes des revues Tyr Myth Culture Tradition et de North American New Right, les éditeurs Arktos media, Counter Currents Publishing, etc.) et commenté les Français, montrant ainsi leur intérêt pour ce qui se passe ce côté de l’Atlantique.

S’il y a des influences réciproques, s’il y a des intérêts communs pour les racines de l’Europe, pour le paganisme européen et pour les théoriciens de la « Révolution conservatrice » allemande, il y a aussi des différences : l’alt right n’hésite pas à se référer explicitement à des penseurs nationaux-socialistes ou ouvertement racistes, chose qu’on ne trouve pas (ou du moins plus) dans la Nouvelle Droite réunie autour de Benoist, mais qu’on peut toujours voir chez d’anciens membres du GRECE.

Pour se procurer le livre vous pouvez vous rendre sur le site de l’éditeur