Pour la deuxième fois, Morillo et Dufour sont appelés à témoigner, mais cette fois sur les événements eux-mêmes, et non plus sur leur parcours ou leur personnalité. Depuis maintenant une semaine, principalement par la bouche de leurs avocats respectifs, se dessine la version des faits qu’ils vont tenter de faire croire aux jurés : ce sont de pauvres néonazis terrorisés par de violents antifas qui n’ont fait que se défendre. À les entendre, on pourrait presque croire que la victime était de leur côté…

Ce mardi 1er juin, pour la deuxième fois, Esteban Morillo est interrogé, non plus sur sa personnalité, mais au fond. « Je ne me souviens pas de ça, je ne sais pas » sont ses réponses à la moitié des questions posées, pour le reste c’est du déni pur et simple, tant sur sa motivation politique que sur sa responsabilité dans l’affrontement.

Esteban Morillo au tribunal d’Evry en mai 2021.

Sa proximité avec le mouvement d’Ayoub ? « J’allais dans les manifestations mais je ne militais pas à Troisième Voie. ». Concernant sa soirée au Local avec Serge Ayoub le soir de la mort de Clément ? « c’était pour boire un coup et décompresser ». D’ailleurs, Serge « Batskin » Ayoub, qui a construit sa légende autour de récits de combats de rue à coup de batte de baseball (d’où son surnom) et de la violence parfois mortelle de ses diverses petites bandes, leur aurait bien entendu conseillé de fuir, et non d’aller à l’affrontement. Le slogan des JNR et de TV, « Croire, combattre et obéir », qui est aussi la devise de Mussolini, devient si on suit Morillo « Fuir, trembler et aller à la police »… Car Morillo prétend que son chef lui a dit de se rendre : pourtant, il prépare son sac pour s’enfuir en Espagne, avant finalement de se raviser.
Morillo est bien obligé d’admettre cependant qu’il n’est pas venu sur les lieux pour se rendre à la vente privée, mais bien pour prêter main forte à ses amis. Il dit être venu pour « apaiser les choses » : c’est pourtant avec un coup de poing qu’il entame le dialogue.
Mais s’il a attaqué Clément, nous dit-il, c’est parce que ce dernier l’aurait insulté : « enculé, fiotte » se rappelle-t-il… Des insultes tout à fait courantes dans la bouche de celles et ceux qui, comme Clément, manifestent contre l’homophobie (l’avocat de Morillo voulait même, vendredi dernier, montrer une vidéo où on le voit tenir une banderole « l’homophobie tue »). Certes, Clément ne l’a pas frappé, « mais il a essayé » : s’il le frappe violemment au visage, c’est pour se dégager. « Je ne sais pas me battre », nous dit Morillo le skinhead. Une fois Clément à terre, il nie également avoir dit « one shot », ce qui a été entendu par plusieurs témoins.
Ce dont il se rappelle de façon certaine en revanche, c’est qu’il n’avait pas de poing américain, alors que la moitié des témoins de la scène en parlent (un le voit même faire le geste de l’enfiler). Peu importe si, deux ans auparavant, il a été arrêté pour port d’un… poing américain. Si ce n’est lui, c’est donc son frère : il avait déclaré à l’époque « j’ai vu Samuel [Dufour] frapper avec son poing américain », il explique aujourd’hui qu’il a été « intoxiqué par les médias » : pourtant, il a passé la soirée au Local et sûrement pas à regarder BFMTV, et c’est le lendemain matin lors de sa garde à vue qu’il en parle pour la première fois, et non pas après une journée devant la télé.
Malgré les tentatives de son avocat, Jérôme Triomphe, de décrédibiliser ces témoins en criant au complot politico-médiatique, Morillo ne peut qu’avancer sa propre version, une fable qu’aucun témoin de la scène ne confirme. Alors oui, il dit aux parents qu’il est « désolé » de la mort de Clément, mais sans reconnaitre sa responsabilité et celle de ses amis, puisqu’il plaide aujourd’hui la légitime défense.

Avant Samuel Dufour, c’est un de ses connaissances, Yann Tarju, qui vient témoigner à la barre. Ils se sont rencontrés au CFA de Villiers-le-Bel, où Dufour est surnommé « le facho ». Le 5 juin 2013, à 20h13, Dufour lui envoie un SMS pour lui dire qu’il s’est servi de « son poing américain ». En effet, Dufour avait acheté 20 euros un poing américain à Tarju, qui les collectionne ; questionné plus tard sur ce poing américain, il déclare "il était chez moi" mais l’arme ne sera pas retrouvée lors de la perquisition du domicile de Dufour, et ce dernier ne peut donner aucune explication sur sa disparition. il est donc peu probable que, comme Katia Veloso, il l’ait confondu avec un antivol de moto. Quand on lui demande pourquoi il n’en a pas parlé dès sa première audition, il dit que c’est par peur des représailles ou pour ne pas être traité de balance.
Il se souvient des SMS l’invitant à venir sur Paris « pour niquer des PD » (c’est la période des mobilisations homophobes de la Manif pour Tous) ou pour « casser du noir ». Dufour lui envoie aussi des messages sur Hitler, un selfie sur lequel Dufour pose devant un drapeau bleu blanc rouge, un poing américain dans chaque main…
Mais pour l’avocat de la défense, Tarju est « un mytho ». Parce qu’il est devenu meilleur apprenti de France, et que dans ce cadre, il a été reçu à l’Elysée, il dit « des bobards », car selon la théorie d’Etrillard, il fait partie d’un sinistre complot politico-médiatique contre son client…

C’est ensuite au tour de Samuel Dufour. Sa version des faits, on la connait déjà, son avocat Etrillard nous l’a servi plusieurs fois : lui et ses amis, terrorisés par les moqueries de Steve lors de leur rencontre dans la vente privée, se sont terrés tout tremblants dans l’appartement en appelant leur amis pour qu’ils viennent discuter avec les antifas ultraviolents qui les attendent, avant de décider de sortir et, pour éviter l’affrontement, de foncer en file indienne tout droit sur le groupe de Clément au lieu d’aller dans la direction opposée.

Samuel Dufour accompagné de son avocat, Grégoire Etrillard. Au premier plan, Jérôme Triomphe, l’avocat de Morillo. [Photo : Le Quotidien]

Le président rappelle que Steve n’est pas très impressionnant physiquement : pourquoi avoir eu aussi peur ? « On a eu peur parce qu’ils étaient dix et nous deux avec une femme. » Rappelons qu’au moment où tout le monde se trouve dans la vente privée, les antifascistes ne sont encore que trois, puisque Clément ne les a pas encore rejoints. Mais Dufour en voit cinq, et en imagine cinq autres arrivant en renfort. Quant au sexisme de son décompte, il se passe de commentaire.
Quand Dufour et ses amis néonazis croisent Clément, qui lui non plus n’est pas très costaud, il auraient encore eu très peur. Les vigiles estiment au contraire qu’ils roulaient des mécaniques : mais c’est parce que Dufour et ses amis nazis ne voulaient pas « perdre la face » : « on est très très très inquiets » dit Dufour aujourd’hui.
Concernant la bagarre, Dufour explique être revenu sur ses pas car ses amis ne le suivaient plus, trop occupés « à parler avec Clément Méric ». C’est à ce moment-là qu’il dit avoir été frappé par Matthias. Le coup porté à Clément ? Il ne l’a pas vu. Le « one shot » confirmé par six témoins ? Il ne l’a pas entendu. Le SMS envoyé à Tarju parlant de coups portés avec un poing américain ? Un coup monté de la police… À aucune de ses auditions, Dufour n’a exprimé le moindre regret ; pour lui, la responsabilité est collective.