À l’occasion de leur tournée en Europe, on est allés à la rencontre des Union Thugs, groupe de folklore ouvrier tout droit venu de la scène antifa/redskin montréalaise et du syndicat de travailleurs.euses le plus révolutionnaire et emblématique du continent nord-américain, les Industrial Workers of the World (IWW). De passage à Montpellier (pour la soirée de rentrée du Barricade), nous avons sauté sur l’occasion de rencontrer l’un des groupes phares qui tournent sur nos sonos et autoradios, histoire de leur parler antifascisme, lutte des classes, culture populaire et identité ouvrière. Tabarnak !
Rencontre et longue interview avec Éric, Bobette et Matthieu des Union Thugs.

La Horde : Salut les Thugs, alors cette tournée européenne, comment ça se passe : vous êtes déjà passés par l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et maintenant la France. Y a des choses qui vous marquent dans les milieux militants que vous rencontrez ?

Éric : Oui absolument, on est passés aussi en République Tchèque et en Belgique. C’est certain que c’est assez différent de chez nous pour plusieurs raisons, notamment la présence de centres sociaux, de squats, à peu près inexistants chez nous. On voit tout l’impact que peuvent avoir ces structures sur une contre-culture, les milieux militants locaux, qui peuvent s’organiser dans ces lieux là, ça fait vraiment une grosse différence. En règle générale, au niveau politique ce qu’on constate c’est que ça semble suivre la même logique que chez nous, toujours plus vers le libéralisme économique, toujours plus d’enlever les entraves aux capitalistes, d’appauvrir la classe ouvrière un peu partout, enlever la sécurité sociale. Chaque ville est un peu différente, a sa culture militante, est soit plus communiste dans cette ville là, plus anarchiste dans une autre. Nous on est assez ouverts d’esprit, on est [..] d’un côté ou de l’autre, donc on regarde un peu tout. Par exemple à Turin en Italie c’était très communiste, dans d’autres villes ça va être très anarchiste. On voit et on apprend.

Bobette : Au sein même du band, y a plusieurs idées politiques différentes, anarchistes, communistes, insurectionnalistes...

Matthieu : Oui c’est assez large. Moi c’est la première fois que je viens en Europe. y a Bobette, Éric et Chloé qui nous accompagne, qui nous parlent de la culture des squats, tout le côté politique culturel qui est très surprenant, dépaysant. Aussi au niveau de l’accueil qui est fait aux gens de l’extérieur qui viennent soit faire des conférences, comme Matthieu, soit donner des concerts. En Amérique du Nord c’est pas tout à fait implanté. Y a quand même une culture de l’accueil, que ce soit faire à manger aux gens avant les concerts, les conférences, tout ce qui est l’hébergement, toutes les accomodations sont bien. Une vraie culture de solidarité qui m’a frappé.

E : chez nous on individualise beaucoup et ça se voit moins dans les concerts qu’on peut donner. Par exemple ça va souvent être dans des clubs ou des bars qui vont donner 2 tickets de bière pour la soirée : pas de repas, pas d’hébergement, on doit se démmerder pour trouver des sleepings. Ici c’est pas comme ça, y a une grosse différence, ça fait du bien.

M : C’est vraiment beau à voir. Eric qui fait beaucoup d’organisation de concerts depuis plusieurs années, avec les années on a réussi à créer des réseaux de tournée entre quelques villes : de plus en plus on voit comme une forme de solidarité émergée entre les villes, mais pas au même niveau que l’Europe. Ça m’a marqué par exemple à Darmstat , on finissait une caisse de breuvages, on nous en ramène une pleine, avec de la bière, des trucs sans alcool, tout le monde était pris en compte.

B : quelque chose que j’ai remarqué, en tant que femme, c’est toute la culture du safe space et du consentement. Dans tous les endroits où l’on a joué, y a des pancartes affichées "si tu te sens mal à l’aise, si tu te sens harassed/agressée, va voir le staff, quelqu’un de la place, parle nous-en" : ça c’est quelque chose qui m’a vraiment marqué, qui manque énormément en Amérique du Nord. Y a de plus en plus de safe space dans les lieux de contre-culture, mais il est pas en tant que tel affiché noir sur blanc. J’ai trouvé ça vraiment fun que dans les toilettes tu puisses le lire textuellement. Même dans certains lieux y avait des numéros de téléphone : "tu peux nous appeler, et on va réagir à la situation". Ça m’a vraiment beaucoup marqué, quelque chose que je trouve merveilleux et qui devrait etre élargit à travers le monde.

E : Aussi une autre différence que j’ai trouvé, c’est au niveau intergénérationnel. Chez nous c’est souvent très générationnel, la scène punk c’est des gens de 30 ans, on verra pas des gens de 50 ans, pas beaucoup de gens de 18 ou 19 ans. Ici partout ou on est allés y avait des gens d’un peu tous les âges. Chez nous y a moins de tradition militante qui se transmet de génération en génération, dans la gauche comme dans la contre-culture, on reste très cantonnés à une génération. Au bout d’une dizaine d’années les collectifs meurent, un autre collectif plus jeune renait, va durer quelques années, va mourrir. Ici j’ai l’impression qu’il y a plus une transmission des connaissances et de l’expérience militante qui est faite, c’est vraiment intéressant.

LH : Chez vous au Québec, comment ça se passe sur la scène culturelle : vous jouez surtout à domicile, vous avez tourné dans le reste du Canada, et aux États-Unis ?

B : on a essayé notre premiere tournée aux États-Unis, ça a été un gros fail. On s’est pas nécessairement aidés non plus. On était les 6 entassés dans un van, avec un autocollant "heroine hayride" et on arrive aux douanes américaines : c’est super dur d’aller aux USA. On s’est fait complétement refusés, il faut des permis, des visas officiels, et on avait des papiers qui prouvaient qu’on aller pas faire d’argent là-bas. Vu que quelqu’un devait quelque part aux USA se faire de l’argent, on a été refusés. Mais ça a été accompagné de prises d’empreintes digitales, de photos, de fouilles à nu, amenés dans des pièces séparées, c’était vraiment pas agréable. On a eu deux personnes de chez nous qui sont retournés par la suite aux États-Unis, à titre individuel, et ça apparaissait dans leurs ordinateurs.

E : on se faisait interroger "êtes-vous dans un groupe", "allez-vous faire des concerts" ...

B : pour ce qui est des salles de concerts au Québec et en Ontario, la pandémie a beaucoup tué des salles concerts qu’on aimait, auxquelles on était affiliés politiquement, des coopératives de travail, très punk, très underground. On est tous d’accords que ce qu’on aimerait le plus c’est jouer pour des travailleurs.euses, donc on joue sur des lignes de piquetages (piquets de grève), pour des lock-out (blocages), des grèves, des manifestations : on est souvent demandés pour ça. Ou sinon par nous-mêmes, comme après la tournée annulée aux états unis, on a fini en Ontario à faire des tournées des lignes de piquetage. On va aller vers eux par notre propre volonté, leur proposer des musiques, on est complétements autonomes, on a un groupe électrogène.
On va jouer dans des salles de concerts et des petits bars, des salles de spectacle privés, des concerts organisés légalement...

E : avant de venir en Europe on avait principalement joué au Québec, province francophone, et en Ontario, la province voisine, anglophone. Beaucoup parce que les distances sont très longues entre les villes. Par exemple la côte ouest ça prend 3 jours de voitures pour y aller, moi-même j’y suis jamais aller de ma vie. Les grandes distances rendent ça difficile, les scènes alternatives sont un peu mourantes, la question de la pandémie qui a tué plusieurs salles, y avait pas de sécurité à ce moment là, elles ne pouvaient pas faire leur activité et ont fait faillite.
Aussi toute la question de la gentrification qui fait fermer des salles, des plaintes pour bruit, dans des quartiers historiquement artistiques, aujourd’hui boboisés, comme Plateau Montroyal. Beaucoup de salles ont fermés, à Toronto, à Hamilton, toutes les salles de spectacle politiques ont fermé ces dernières années, c’est plus difficile.

M : dans le centre ville à Montréal y a une salle de spectacle très importante qui a fermé, juste avant la pandémie, pour une raison de loyer, de gentrification, de plaintes. Ça s’appelait les Catacombes, c’est un lieu culte à Montréal, pleins de groupes y sont passés.

E : nous-mêmes on organisait un festival qui s’appelle le Revolution Fest, c’était aux Catacombes, on a eu quelques années de iaatus/pause à cause de ça. On reprend cette année dans une autre salle mais c’est pas la même chose.

M : c’était un peu la maison les Catacombes, on avait nos habitudes. Ce genre de salle ferme, c’est de plus en plus difficile de trouver des salles qui sont ouvertes et qui conviennent pour l’espace, pour les mentalités.

E : parallèlement y a quand meme eu pendant la pandémie à Montréal beaucoup de concerts sauvages qui se sont organisés en plein air, ce qui a amené beaucoup de jeunes à s’intéresser à la scène. Aujourd’hui y a un renouveau de la scène post-pandémie. Nous, étant un peu des spécialistes avec notre groupe électrogène, on a prêté à d’autres pour faire des concerts sauvages, ça a fait un bel effet.

B : la pandémie a créé une énorme relève de jeunes personnes qui viennent aux concerts, mais sont pas du tout politisés, pas engagés : ça va se faire avec le temps. Une différence à souligner entre Europe et Québec c’est la diversité des concerts. Par exemple dans un squat dans le nord de l’Allemagne on a joué avec un groupe de doom metal, une femme qui faisait du hip hop slam féministe, un band de crust-hardcore : en Europe y a une grande diversité qui donne une grande mixité dans le public. Chez nous c’est très catégorisé : show punk, show folk, show métal. Personnellement j’organise aussi des concerts, toutes les fois que j’ai essayé d’organiser des divergences de musiques, ça marche pas. Une différence, qui me semble exister depuis des décennies, assez flagrante et c’est dommage. Offrir une belle mixité dans un concert c’est important, au final c’est tous nos idéaux politiques qui se rejoignent ensemble, la musique c’est un moyen de véhiculer ces messages là, on devrait toutes et tous être d’accord politiquement et apprécier les styles de musique différents.

M : Montréal est quand même foisonnant de cultures. Dommage que les crews et les gens se mélangent peu, mais beaucoup de choses se passent dans l’underground. Ça gagnerait à se mélanger un peu, y a beaucoup d’organisateur.rices, de bons groupe, ça pourrait être à prendre d’aller à la rencontre les uns des autres, parce que c’est foisonnant

LH : Revolution Fest , c’était que du punk, c’était mélangé ?

E : On a fait plusieurs essais, on a mélangé des styles. Souvent c’est par soirée avec des fils conducteurs au niveau du style. Y a rarement par exemple du hip hop et du punk ensemble parce que c’est difficile de mélanger les différents publics.

LH : Vous faîtes en même temps la lutte et la fête, la culture et la politique : une tradition et une conception chère aux antifascistes radicaux que nous sommes. Par exemple vous faîtes une intervention sur le syndicalisme de classe des IWW avant la plupart de vos concerts. Vous pouvez nous parler de cette démarche militante ?

E : on a toujours eu cette démarche là, qui nous vient de l’histoire des IWW, dans lesquels on est impliqués. On était appelé le "syndicat chantant" parce qu’on distribuait des cahiers de chansons subversives. Y avait cette culture sur les piquets de grève de faire des concerts, dès le siècle dernier : en 1910 par exemple, c’était fréquent, notamment un certain chansonnier nommé "Joe Hill". On s’est vraiment inspiré de cette tendance là.
Notre idée première c’était d’aller soutenir les piquets de grève, leur donner une trame sonore à leur lutte. On a fait imprimer des cahiers de chanson, on en faisait avant chaque concert avec l’ordre des chansons, c’était casiment comme un cahier de messes, avec les chansons, ça commencait toujours avec le préambule. Ça nous vient un peu de là. Nous on est issus de la scène punk-rock, skinhead, antifasciste, et c’est toujours quelque chose qu’on essayait de mixer entre les deux. Le Revolution Fest c’est dans cette lignée là : des conférences politiques et des concerts, des tables de presse,.. C’est un peu la mission qu’on s’est donnés. On est tous impliqués dans un label qui s’appelle Dure Réalité, qui est dans la même lignée de pensée de mélanger ça. Pour nous ça va de paire : le punk sans la politique c’est du rock ennuyant, on chante notre dégout de la société et notre désir de changer les choses, on essaye de le faire avec des gens qui ont pas nécessairement grandi dans la culture punk-rock, d’ouvrir les horizons de certaines personnes. Notamment dans les moments où les gens luttent, on pense que c’est des moments qui sont des grands moments d’apprentissage, quand y a une lutte, une grève, une manifestation, un mouvement social : c’est des moments ou on apprend énormément, nous-mêmes, et les gens qui étaient pas politisées à la base. On pense que c’est un bon moment pour aller parler, peut-être avoir un discours beaucoup plus radical que ce que le syndicat moyen va avoir chez nous, tout en restant festif. Ce côté là nous ouvre beaucoup de portes, parce qu’aller simplement faire un discours politique ou distribuer un journal politique sur un piquet de grève, on serait peut-être regardés différement. Mais on arrive, on joue de la musique, c’est différent, on a plus une liberté d’expression, qui nous permet d’aller beaucoup plus loin dans le discours, qui nous permet de montrer les points communs pour amener un discours de gauche dans le fond. On va pas arriver en
disant "nous sommes anarchistes, nous sommes communistes, nous sommes d’extrême-gauche", on va plutôt dire "vous êtes des travailleurs.euses, on est des travailleurs, si vous gagnez votre lutte, c’est l’ensemble de la classe ouvrière qui va gagner, c’est pour ça qu’on est là en solidarité avec vous". Les gens comprennent ça, s’identifient à ce discours là, qui est exactement un discours que quelqu’un d’anarchiste ou de communiste pourrait aller leur dire, mais parce qu’il met cette étiquette publiquement en avant, ça va refermer des portes. Nous, on reste assez vague là-dessus, on se considère comme révolutionnaires, mais on va pas nécessairement se donner une étiquette claire. C’est à peu près le principe des IWW. Et pour certains du groupe on est impliqués dans le RASH. C’est vraiment un regroupement de deux tendances : on a décidé de pas axer là-dessus mais d’axer sur un discours de classe, d’approcher les gens là-dessus.

B : utiliser la musique, c’est tout le temps le meilleur véhicule de messages, le meilleur moyen d’entamer des conversations. On est pas là juste à arriver avec les instruments et jouer, on se présente, on va boire un café, on va vous jouer 2 3 chansons, on va continuer à parler après. La musicothérapie, c’est pas juste pour les gens qui sont pas biens, qui sont en dépression : c’est aussi pour le monde qui lutte. Je connais aucun autre groupe de musique qui fait ça en ce moment. Je trouve très originale notre démarche de faire, à la place de prendre un mégaphone, même si notre chanteur a déjà essayé de chanté dans un mégaphone ! C’est un bon moyen d’entamer un dialogue de solidarité et de soutien envers les travailleurs.euses.

E : on a rien inventé, ça remonte à une vieille tradition. On fait pour la plupart des reprises de chansons, parce qu’on pense que ces chansons méritent d’être mises de l’avant et expliquées aux gens. C’est pour ça qu’on fait des livrets pour expliquer en texte pourquoi on chante cette chanson là aujourd’hui, qu’est-ce que ça veut dire , c’était quoi le rappel historique qui est fait dans cette chanson là. On va prendre aussi des chansons populaires, connues, pour que les gens puissent chanter avec nous, s’identifier, même s’ils écoutent pas du punk-rock ou de la contre-culture. On va prendre des chansons connues, changer les paroles, les gens trouvent ça très drole. Ça aussi c’est une vieille démarche du siècle dernier, on a rien inventé !

LH : Dans vos chansons, on retrouve des créations de votre groupe comme des grands classiques (Molodoï, Leonard Cohen, Woody Guthrie) et d’autres moins connues (les Piqueteuses de Gloire, de Jacques Brunet) : vous emprunter à la fois au répertoire des chants populaires, des chants de lutte, des chansons ouvrières, tout en composant des nouveaux classiques oi !/street punk antifa ! Nous on adore, mais c’est pas si courant, comment l’idée est née ?

M : on en a déjà parlé, mais ça part de la démarche du groupe d’offrir une certaine accessibilité aux répertoires qu’on a. L’idée du groupe c’est qu’on était toutes et tous membres des IWW, et ça fait longtemps qu’Eric et d’autres ont eu l’idée de reprendre la tradition, de chanter des chansons ouvrières pour soutenir des luttes, pour passer des messages. À un moment donné les astres se sont alignés, on a commencé en janvier 2017, dans le loft de Bobette, avec quelques reprises qu’on avait sélectionné : Je suis fils de Corrigan Fest, Juillet 1936 de René Binamé, La complainte des ouvriers de Molodoï. On y allait vraiment large, dans des chants plus classiques, révolutionnaires, comme Juillet 1936 ou Bella Ciao, ou aussi des chansons issus du punk tant français que québecois, qui véhiculaientt un message qu’on voulait partager. Derrière cette démarche là, on a toujours voulu que ça soit des concerts de lutte, de la chanson de luttes ouvrières, de luttes antifascistes, de luttes féministes et d’autres choses encore.

E : on est parti aussi de ce que nous on aimait comme musique : on est des punk-rockers, des redskins, on est pigés là dedans, dans le répertoire populaire, dans le vieux répertoire des IWW, les vieilles chansons folk de l’époque et on essaye de mélanger ces 3 styles là ensemble ; éventuellement d’ajouter des compositions que nous on fait. On se cantonne pas dans un style. On sait d’où on vient, nos influences, mais on essaye de s’ouvrir, on veut faire de la musique pour que les gens puissent embarquer avec nous, que ça soit festif. On reste toujours avec le contenu politique, on ferait pas une reprise de chanson d’amour sans modifier les paroles. Pendant nos concerts on va mettre beaucoup l’accent sur les discours entre les chansons, ce qui est assez présent dans le folk américian, y a souvent une explication avant la chanson, le chanteur commence puis arrête ,continue son histoire, reprend la chanson,..on fait un peu dans ce style là.

B : on s’adapte beaucoup, on veut beaucoup s’adapter aux gens plutôt que de demander aux gens de s’adapter à nous. C’est ça aussi la beauté du groupe, on va jouer autant sur les lignes de piquetage, mais aussi dans des conférences, des camps de formation, des shows crust-punk : c’est nous qui nous adaptons et non l’inverse. C’est ça aussi qui fait qu’il y a une chimie automatique qui se créer entre le public et nous.

M : on se retrouve devant une diversité incroyable de gens dans le public. Moi en jouant du punk ailleurs je voyais pas ça : des gens plus âgés, des habitués du bar qui finissent par venir danser devant nous..

E : ..ou qui viennent nous parler de leurs conditons de travail à la fin du concert, parce qu’on en a parlé tout le long du concert, de travail, de classe sociale : les gens viennent nous voir, nous parle de leur travail, de leurs problèmes, du syndicat, ça ouvre tellement de portes à la discussion, c’est merveilleux !

LH : En France y a beaucoup d’histoires, de cultures et de luttes populaires que les fascistes essayent de se ré-approprier : d’Occitanie à la Bretagne en passant par le Pays-Basque, de l’histoire ouvrière des deux derniers siècles (la Commune de Paris, le front populaire, la résistance) à la lutte des classes d’aujourd’hui (Gilets Jaunes, retraites), et même le punk, la oi ! ou le rap. On doit souvent se battre pour rappeler aux gens ce qui nous appartient, ce qui fonde notre identité, sociale, culturelle et politique, défendre nos cultures populaires : est-ce que les fascistes font la même chose au Québec ? C’est quoi pour vous l’identité et la culture populaire du Québec ?

E : oui, ils essaient, peut-être avec moins de bons résultats que chez vous. L’avantage et le désavantage, autant à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche : à l’extrême-gauche c’est difficile de faire durer dans le temps, y a pas beaucoup de transmissions des luttes. À l’extrême droite, c’est la meme chose. Ils se battent entre eux pour des questions d’égos, les groupes tombent rapidement parce que tout le monde veut être chef à la place du chef : ils ne réussissent pas à avoir une tradition bien implantée chez nous.
Ce qui peut faire un peu peur c’est qu’historiquement y a eu la lutte pour l’indépendance du Québec, un peu comme vous avez pu l’avoir en Bretagne, en Corse ou des endroits comme ça. Historiquement c’était une réelle lutte de classes : les employés étaient francophones, les patrons anglophones, c’était comme ça. Avec le mouvement indépendantiste ça a changé. Aujourd’hui, moi j’ai toujours eu des patrons francophones. Nouvelle langue mais mêmes valeurs : ça reste des capitalistes qui parlent français à la place d’anglais. La lutte indépendantiste s’est désocialisée, et maintenant, la peur des indépendantistes c’est l’immigration.
La laïcité, qui est une lutte historiquement progressiste, qui est détournée aujourd’hui pour viser l’islam, les signes religieux ostentatoires de l’islam en particulier. A ce niveau là, ils ont réussi. La laïcité, la gauche en parle presque plus, c’est trop tabou avec la droite qui a fait un travail de sape de ce mouvement là. La religion est beaucoup moins forte qu’historiquement elle ne l’a été.
C’est la même chose pour la liberté d’expression, on va entendre souvent les fachos parler de liberté d’expression, parce qu’ils ont des discours haineux ils se font rabroués, et ils disent qu’ils sont brimés dans leur liberté d’expression. Alors que quelqu’un de gauche qui fait un graffiti contre la police, qui se fait arrêté, jamais on va entendre la droite parler de liberté d’expression.
C’est des luttes qu’ils ont quand même réussi à s’approprier, mais sinon pas dans les mouvements ouvriers. On peut retrouver des espèces de fachos qui vont essayer de s’impliquer dans leur syndicat, mais ça reste des cas isolés, y a pas de mouvement organisé au niveau populaire, ouvrier. Ce qu’on a pu voir récemment, avec les fachos conspirationnistes, avec la pandémie : ils se sont grandement développés, avec la lutte contre les mesures sanitaires. Ce qu’on a pu voir de leur côté, c’est une alliance avec des gens qui étaient plus historiquement de gauche, qui étaient plus sur les médecines alternatives, qui ont réussi à être ramenées dans le giron de l’extrême droite via la lutte contre les mesures sanitaires.
Ils ont aussi fait quelques initiatives, plutôt autour de ce qu’on appelle chez nous les groupes communautaires : par exemple des distributions de sandwichs, mais au jambon, pour être certains que les musulmans puissent pas en manger, ou des distributions de nourriture aux sans-abris. On a vu ça un petit peu, mais ça reste très marginal, globalement c’est pas quelque chose qu’ils réussissent bien à faire de s’approprier.

B : au niveau punk et groupes de musique, ils réussissent pas. C’est assez clair. On a un exemple concret, c’est pas de l’extrême droite, c’est le terme "fence worker", c’est un terme qui est utilisé pour dire "t’as un pied à gauche, un pied à droite", ça ne passe pas.
Une anecdote : un groupe de la ville de Québec, qui s’appelle RAW (Rock Against Wokism) a essayé de perçer : ça n’a pas du tout marché. Ils se sont fait mettre des bâtons dans les roues dès le départ, ce groupe là a était tué dans l’oeuf. Ils ont réussi à faire un concert, tous les autres ont été annulés. Ces dernières années, dans la scène contre-culturelle, c’est le plus poussé qu’on ait eu. T’entendais leur discours, c’est du Trump, quand ton band s’appelle Rock Against Wokisme, ça en dit long..

M : je viens de la scène hardcore de Montréal, qui historiquement était assez apolitique, s’intéressait pas particulièrement aux luttes sociales. Dernièrement, avec ce groupe là, ça a confirmé une prise de position claire contre la droite, contre la discrimination. Ça s’est beaucoup passé sur les réseaux sociaux, mais ils ont été rabroués de belles façons. Ils ont réussi à faire un spectacle puis ont essayé d’aller chercher des appuis, mais ça n’a pas fonctionné, dans une scène qui à l’époque aurait pu balayer ça de la main et s’en foutre un peu. J’étais vraiment content de voir ça. Dans la scène hardcore, y a beaucoup de femmes qui ont fait un travail extraordinaire sur les questions des luttes sociales, de la place des femmes et des politiques de gauche à Montréal et dans tout le Québec. Des choses comme ça maintenant ne sont plus passés sous silence. A l’époque y avait des gens qui auraient pas été d’accords, mais qui auraient pas eu le soutien suffisant pour les écarter complétement : c’était vraiment plaisant d’être témoin de ça. Ça réussit pas dans le punk.
À une certaine époque y avait Légitimé Violence, du RAC bien québecois.

B : d’ailleurs y avait un membre de Légitime Violence dans RAW

E : au Québec ils (Légitime Violence) ont jamais réussi à tenir des concerts à plus de 60 personnes, mais à l’international ils étaient connus partout. La plupart des gens qui venaient à leur concert venaient de New York ou d’autres communautés fafs, y avait personne dans leur concert au Québec.

M : ça se passait dans des endroits tenus secret..

B : ..avec révélation de l’adresse à la dernière heure avant le concert..

M : ..jamais rien de public, ils sont souvent restés dans la crainte d’une descente. Dans la scène punk/oi ! ça a jamais fonctionné, en tous cas dans les 20 dernières années.

B : et ça va continuer comme ça !

E : à Montréal en particulier, mais au Québec aussi, y a toujours eu un fort mouvement antifasciste. Depuis les années 80, avec les Béruriers Noirs, ça a créé chez nous une vraie tendance antifasciste radicale, qui, encore aujourd’hui, continuer de se maintenir : y a toujours eu opposition à l’extrême droite depuis les 30/40 dernières années.

LH : On en est où de la lutte des classes au Québec, comment se porte les IWW ? C’est quoi les combats importants pour notre classe au Québec ces derniers temps ?

E : les combats importants de notre classe en ce moment : y a une attaque généralisée, sous couvert de nationalisme de la part du gouvernement du Québec (qui est un gouvernement de droite), sur l’ensemble de la sécurité sociale. L’une des principales luttes en ce moment, c’est la lutte pour le droit au logement. Il y a une énorme gentrification qui s’est effectuée pendant les dernières années, la pandémie l’a accéléré, les loyers à Montréal ont doublé, voir triplé, au cours des 10 dernières années. C’est vraiment difficile de se loger mainteannt, alors qu’historiquement c’était une ville où il était plutôt facile de trouver du logement. Notre gouvernement a été forcé d’admettre qu’il y a une crise du logement, après l’avoir nié pendant des années. Aujourd’hui, on nous a mis une ministre du logement qui est en fait une lobbyiste, une agente immbolière..

M : ..c’était une propriétaire qui a fait dans le lobby immobilier..

E : ..une agente immobilière qui est devenue ministre du logement. Pour remédier à la crise du logement elle a trouvé une solution miracle : couper le seul moyen qu’on avait d’avoir un contrôle sur le prix des loyers en faisant des cessions de bail. Quand on quittait on un appartement on pouvait céder le bail à quelqu’un d’autre, au même prix, afin de s’assurer que le propriétaire n’en profite pas pour augmenter le loyer. Ils s’attaquent à ça avec cette agente immobilière ministre ; donc en ce moment y a un certain mouvement qui grossit sur cette lutte là
Sinon plus particulièrement à X ? dans le nord du Québec, y a une grosse fonderie qui rejette de l’arsenic dans l’air, et beaucoup d’habitations à proximité recoivent leur dose d’arsenic quotidienne. Donc il y a une lutte citoyenne là-bas pour obliger la compagnie à ne plus émettre d’arsenic. Le gouvernement, étant de droite, est plutôt favorable aux compagnies qu’à la population. À ce niveau là, y a aussi une lutte qui se dessine.
Voilà les luttes les plus chaudes !
Dans le milieu du travail il y a la question du milieu hospitalier, qui a été très affecté pendant la pandémie et qui a beaucoup de difficultés à s’en sortir. Et, encore une fois, le gouvernement veut privatiser toute l’industrie de la santé, s’assure que constamment il y ait un manque d’employés pour pouvoir dire si vous allez au privé ça va beaucoup plus vite. Donc beaucoup de luttes du travail au sein des hopitaux en ce moment

B : il y aussi une lutte en ce moment très importante, qui fait beaucoup parlé, c’est la lutte des trans, des personnes transgenres. L’identité des genres c’est quelque chose qui fait beaucoup jasé en ce moment, pas juste dans notre contre-cuture, mais au niveau médiatique, largement. Je pense que c’est une lutte nécessaire, ces personnes ont beaucoup vécu dans l’ombre pendant longtemps, en ce moment iels ont une tribune, et c’est très partagé en ce moment..

E : ..l’extrême droite les attaque énormément, c’est leur nouvelle cible..

B : ..c’est une lutte très ouverte médiatiquement : les médias se gavent de ça pour se nourrir. Mais c’est une lutte très "on the top" en ce moment.

M : toutes les luttes décoloniales aussi, mais il y a une question plus tard là dessus on va y revenir.

E : pour les IWW ça va relativement bien, avant la pandémie, il y a eu une montée du mouvement qui s’est un peu essouflée, des branches qui se sont fondées dans d’autres villes que Montréal. Là ça stagne un peu. Montréal va très bien, ça reste toujours une des branches nord-américaines les plus actives. Ça va quand même bien. La pandémie a été difficile pour se réunir, tenir nos réunions mensuelles, peu de gens intéressés a faire des réunions virtuelles, on en a tellement eu que ça faisait chier tout le monde. Mais globalement ça va quand même bien à Montréal.

LH : On vous pose la même question pour l’antifascisme : comment ça se passe la scène politique antifasciste à Montréal et au Québec ? C’est quoi les actions et les campagnes de ces derniers temps ? Les groupes antifas du Québec ont d’autres liens avec d’autres groupes du reste du Canada ou des États-Unis ?

E : pour l’antifascisme, si on fait un petit recul, à partir de l’arrivée de Trump dans le décor politique, il y a eu une montée de l’extrême droite chez nous mais une perte de l’extrême droite de rue, qui a toujours été plutot faible chez nous. Une montée de l’extrême droite des réseaux sociaux, plus âgée, plus "baby-boomer". Il y a eu un mouvement qui s’est appelé la Meute, qui était vraiment axé sur la lutte contre l’Islam, qui a rameuté pas mal de gens, qui a réussi à tenir quelques manifs : ça a été quand meme chaud cette période là, on avait les flics au cul..

B : ..les flics étaient tout le temps en train de les protéger et de nous charger..

E : ..on se faisait frapper. Et puis il y avait une retenue de notre côté, parce qu’en face c’était pas un public "bonehead". Beaucoup de gens ont répondu à cette mouvance là, notamment via les réseaux sociaux, énormément de gens ont riposté à ce mouvement. La Meute a reçu beaucoup de pressions de la part des militants qui les identifiaient, qui leur mettaient le plus de bâtons possibles dans les roues. Ils ont eu aussi des guerres internes - qui veut être khalife à la place du khalife. Ce mouvement là est un peu tombé. Puis il y a eu la pandémie et les mesures sanitaires, les anciens leaders se sont joints à ce mouvement là, qui a été élargi avec des mouvements autour des médecines naturelles : des sortes de hippies fascistes avec qui ils se sont alliés.
Vous avez peut-être entendu parler du convoi des camionneurs à Ottawa. Premièrement c’était pas un convoi de camionneurs, il y avait moins de 5 camions, c’était plus des pick-ups. En fait, c’est carrément le lobby automobile/pétrolier qui a financé ce convoi. Le symbole du convoi des camionneurs, c’était un jerrican d’essence, avec des gros camions. Il a été financé par le lobby pétrolier : c’était des militants [ndt : du lobby pétrolier] de l’ouest canadien qui militaient pour un pipeline, parce qu’il y a une industrie gazière très forte là bas. C’est eux qui sont à l’origine du convoi canadien de camionneurs, qui a ratissé plus largement que ce que l’extrême droite était capable de ratisser. Et qui a été maté [ndt : réprimé] quand même fortement par l’état, mais pas tant que ça. Dans le sens où nous la gauche, si on avait décidé de marcher sur Ottawa, on se serait fait défoncer, en 5 minutes on aurait été pliés, on nous aurait tiré dessus. Mais eux, comme les flics étaient plutôt sympathiques,et leur serrait la main...

B : ..ils sont restés là un mois ! sur la colline du parlement !

E : le gouvernement a fait des lois contre ce mouvement là, qui pourraient s’appliquer à nous. Lois contre les blocages, contre les occupations de lieux publics. Donc c’est mitigé comme résultat. Il y avait aussi des citoyens d’Ottawa qui se sont mobilisés pour empêcher de nouveaux convois d’arriver dans la ville, bloquer les rues.. Globalement tous les participants au convoi n’étaient pas d’extrême droite, mais les leaders de ce mouvement étaient clairement d’extrême droite. Ça leur a donné une nouvelle poussée. Les mesures sanitaires sont un peu derrière nous, aujourd’hui y a plus grand chose par rapport à ça. Aujourd’hui ils se sont repliés sur les LGBTQIA+, principalement les " ?". C’est leur nouvelle cible. Mais ça a pas l’air de partir comme les autres mouvements : à chaque fois qu’ils essaient de faire quelque chose, il y a une contre-manifestation, plus nombreuse, d’antifascistes et de personnes queers, même des citoyens qui veulent amener leur enfants, voir de la diversité.

M : c’est vraiment populaire comme résistance. Une chose intéressante, y a beaucoup de personnes, qui viennent avec leurs enfants, qui veulent participer, qui veulent faire découvrir des personnes de différentes communautés, de la diversité, qui résistent contre des gens qu’ils voient comme intolérants, dépassés.

E : sinon nous dans l’antifascisme il y a toujours une présence forte, il y a le groupe Montréal Antifasciste, qui fait un peu le travail que la Horde fait en France. Dans le reste du Canada, oui il y a des liens, mais pas autant que ça. Dans le sens que dès fois, il y a des convergences, des grands moments et batailles où il va y avoir des déplacements entre les villes, les gens vont venir s’entraider. Mais ça reste, un peu partout au Canada, dans chaque ville. Chaque ville résiste assez bien à l’extrême droite de rue, c’est assez populaire, les contre-manifestations, généralement, c’est pas un problème.

B : tu sais le slogan "Le vent de droite ne passera pas", et bien c’est vrai, c’est pas juste un slogan, on l’applique et on s’assure que ça ne passe pas.

E : les États-Unis, c’est la même chose : oui il y a des liens qui se créent, quand on a l’occasion. Par exemple le Revolution Fest, on invite des antifascistes des États-Unis à venir nous parler de leur lutte. Quand y a eu l’arrivée de Trump au pouvoir et Charlottesville, il y a eu des québecois d’extrême droite qui sont allés là-bas. Donc il y a eu un gros travail de Montréal Antifasciste pour identifier chacune de ces personnes là, les neutraliser, les exposer, faire des dossiers, des articles. Oui il y a une certaine convergence à plusieurs niveaux. Au niveau anarchiste il y a des réseaux : par exemple le salon du livre anarchiste de Montréal attire beaucoup de gens du Canada et des États-Unis, c’est des moments de convergence. Par exemple aussi, le site It’s going down, ces gens là sont en contact avec Montréal Antifasciste, des fois iels vont diffuser ou traduire en anglais des articles de MA. Oui il y a des liens, mais c’est rare qu’on traîne globalement avec des antifascistes américains ou autres. Niveau RASH,il y a un réseau où les gens se connaissent.

B : au final c’est beaucoup la musique qui nous relie. On devait faire une tournée au Mexique, on est allés participer à une conférence/show antifasciste. La musique est un fil conducteur et rassembleur.

M : on a participé à "RASH de las Americas", la grande convention de toutes les chapitres RASH des Amériques. L’impression que des fois, il y a une question de distance et de langues qui peut rendre certains contacts plus difficiles..

E : ..une question de frontières..

B : ..et une question de priver l’anonymat, il y a du monde qui veut garder l’anonymat, qui veulent pas s’exposer.

M : j’aimerai d’ailleurs saluer nos amis de Hamilton en Ontario

LH : Et la scène contre-culturelle, nous qui écoutons depuis des années Jeunesse Apatride, Esclaves Salariés, Action Sédition, tous les groupes autour de Dure Réalité.. C’est quoi la situation de la scène antifa culturelle à Montréal ?

E : la scène contre-culturelle, elle est 100% antifasciste, y a pas de place pour l’extrême droite, nulle part, peu importe le style, le milieu, l’extrême droite est tolérée nulle part et ça c’est un grand avantage. Oui, ça a été une lutte de longue haleine pour s’assurer de garder nos scènes propres. Aujourd’hui on vit bien, avec le fait que le fascisme est pas accepté dans nos milieux. Y a une forte présence RASH, les groupes que tu as nommé sont assez liés à la scène RASH. Pour nous ces groupes là, c’est exactement la lignée de laquelle on vient, on a grandi avec. C’est des groupes qui ont fait vivre la scène antifasciste, assurer à leur époque d’avoir une scène propre. On a grandi dans une scène propre, aujourd’hui on continue à poursuivre le travail de ces groupes là. À Paris par exemple, il peut y avoir des frictions entre RASH et SHARP. Chez nous y a les 2 et on cohabite très bien, on est amis depuis longtemps, on a grandi ensemble, il y a beaucoup de liens avec ces groupes là. La scène est pas mal vivante, des groupes comme Béton Armé..

M : ..c’est foisonnant, Béton Armé, Dead Bot, The Prowlers.

B : je me rappelle toujours de concerts au début des années 2000, les salles de concert étaient pas clairement affichées contre le racisme, contre le fascisme. Y a eu des descentes de fafs, à coups de battes de baseball, on se battait dans les rues. On ouvrait des petites salles de show, le premier concert ça débarquait, on finissait en sang et la salle de show fermait. Aujourd’hui c’est beaucoup plus clairement affiché, politiquement et textuellement, que c’est contre le racisme, l’homophobie, la transphobie, et c’est tellement affiché, que ces personnes là, ces fafs là vont pas venir parce qu’ils se heurtent à une porte qui est déjà fermé face à eux. Perso j’ai vu une grosse différence dans les 20 dernières années par rapport à ça. Les salles de show vont continuer à s’afficher de plus en plus et ça va pour le mieux.

LH : ces dernières années, un évènement marquant dans la société canadienne qu’on a perçu d’ici, ça a été la révélation au grand public de la persistance du génocide et de la domination coloniale et raciste sur les populations natives, les peuples originels : à travers les révélations sur les pensionnats, la stérilisation forcée des femmes, les fosses communes. Est-ce que ça a fait évoluer la façon dont sont liés le combat ouvrier révolutionnaire aux luttes décoloniales et antiracistes ?

M : Effectivement y a une évolution des sensibilités, des échanges entre les différentes nations autochtones et les luttes ouvrières. Dans la société en général, il y a peut être un changement de paradigme qui est venu malheureusement avec ces évènements là, les femmes assassinées, disparues, les pipelines.. La lutte contre les pipelines est historiquement menée de front à travers le Canada par plusieurs nations.

E : juste avant la pandémie il y a eu un mouvement des premières nations pour bloquer le pipeline "Coastal GasLink pipeline", qui est un pipeline qui doit passer par la Colombie britannique, au dessus de l’Alberta - là ou il y a le pétrole - et arriver à un port de pétrole dans l’arctique, en Colombie britannique. Il y a une grosse lutte contre ça, ça fait des années et des années qu’il y a des campements. Cette lutte s’était un peu nationalisée, les premières nations d’un peu partout faisait des blocages de voies ferrées, les Kahnawake, les Anishinabe...

M : partout à travers le Canada les différentes communautés des différentes réserves se sont mobilisées. Comme toujours quand il y a eu des luttes des peuples des premières nations. C’est quelque chose qui nous manque, chez les descendants européens, une solidarité qui se tient réellement. À chaque fois qu’il y a eu une lutte contre des projets pétroliers, d’agrandissement. À Oka dans les années 90, le projet d’agrandissement d’un terrain de golf avait fait la une au national, et a donné la crise d’Oka. Si vous regardez ça, il y a une image incroyable d’un soldat canadien face à un résistant mohawk, qui sont à quelques centimètres l’un de l’autre. Ça a toujours créé des réponses fortes dans d’autres communautés autochtones à travers le territoire canadien.

E : à l’époque de la crise d’Oka en 1990, il y a eu une résistance, des ponts qui donnent accès à Montréal ont été bloqués : on a pu voir l’extrême droite se mobiliser pour attaquer des blocages de pont autochtones. À ce moment là c’était une branche du KKK canadien, qui est aller lancer des cailloux contre les autochtones, leurs véhicules, etc. C’était assez intense à ce moment là et ça a pu lié l’antifascisme avec la lutte décoloniale : les antifascistes se sont mobilisés contre le KKK, évidememnt les premières nations aussi. Ça a été un gros moment où les médias ont pu monter ça en épingle pour faire peur aux gens, les gens avaient peur des Mohawks "qui veulent bloquer nos ponts, qui ne sont pas gentils...". Ça a pu permettre à l’extrême droite de s’implanter un peu à ce moment là.

M : Aujourd’hui la situation est pas nécessairement toute rose, car on fait face à des horreurs comme des sépultures d’enfants dans les pensionnats autochtones à travers le Canada. Aussi la mort de Joyce Echaquan à Joliette, qui a vécu une maltraitance sans nom de la part du personnel hospitalier, qui est décédée suite à cette maltraitance, au manque d’écoute. Malgré tout il y a des ponts qui se batissent, on aimerait que ça aille plus vite.

B : moi en tant que femme, je veux donner une tribune aux femmes qui ont été torturées et assassinées. Ça a été dur. Y a pas une femme qui a pas pleuré quand on a su cette histoire là, ça vient chercher dans les tripes. Le problème est loin d’être réglé. Très très loin d’être réglé. Ça a été exposé au grand public, puis ça a été balayé en quelques semaines parce que les médias ont arrêté d’en parler. En tant que femme, je veux vraiment dénoncer ce qu’ils ont fait à ces femmes là, on devrait souvent observer des moments de silence. Parce que c’est déjà oublié par les 3/4 de la population, mais pendant 2 semaines tout le monde a pleuré dans son salon. J’aimerai vraiment finir là dessus, donner ce moment là à ces femmes là, parce que c’est putain de déguelasse, c’est putain de trash. Y a aucune femme qui mérite ça.

E : moi j’ai grandi à 30 ou 40 km d’une réserve autochtone, jamais dans le système scolaire on nous a appris quoique ce soit sur leur culture, ce qu’ils ont vécu. Dans le fond, on a jamais parlé d’eux, on connait rien de leur culture, leur langue, leurs traditions, leurs façons de vivre avec la nature. Jamais dans le système scolaire on nous parle des premières nations. C’est une bonne partie de ce que l’état essaye de camoufler, de bloquer ces possibles solidarités là. Si on les connait, si on va à l’école visiter un musée Abénaki, c’est quoi la culture Mohawk, .. Il y a 11 Premières Nations au Québec : on nous explique de rien, on connait rien, c’est nos voisins d’à côté, seulement des préjugés véhiculées dans les médias qu’on entends, c’est tout.

LH : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos questions ! On espère vous voir pour d’autres tournées encore par chez nous, longue vie aux Union Thugs ! Un dernier mot pour la route ?

Union Thugs : Longue vie à la Horde ! Vive la solidarité internationale !

La Horde