RépressionInterview d’un des antifas lyonnais passés en procès le 4/11

Alors que le procès des quatre antifascistes s’est soldé par trois relaxes et quatre amendes, trois d’entre eux ont passé plusieurs semaines derrière les barreaux. On a discuté avec l’un d’entre eux, Grekos, antifasciste de longue date sur Lyon.

Salut Grekos, est-ce que tu peux rapidement te présenter ainsi que le groupe dont tu fais partie ?
Ça fait 10 ans que je milite dans la lutte antifasciste sur Lyon : j’ai participé à la création du Groupe Antifasciste Lyon et Environs (GALE) en 2013, et je suis toujours actif aujourd’hui. Le point de départ de la création de la GALE, c’est la volonté de plusieurs petits groupes autonomes informels, assez jeunes, de s’organiser.

C’est la mort de notre camarade Clément Méric qui nous a fait comprendre la nécessité d’avoir un antifascisme politique, avec en particulier tout un travail d’informations sur la violence des groupes fascistes auprès de la population : avant, on nous prenait parfois juste pour un gang qui traversait la Saône pour aller se taper avec un autre gang.

Mais aujourd’hui, la situation sur Lyon s’est aggravée, en particulier en ce qui concerne la répression : quand on a commencé à militer il y a une dizaine d’années, jamais on n’aurait pensé que nos activités nous enverraient en prison. Concernant les groupes fascistes, il y a toujours eu des périodes où ils étaient très actifs, comme maintenant, à la fois dans la rue et avec leur locaux qui ont pignon sur rue.

Mais vous avez montré qu’il était possible de s’organiser pour faire face à ces groupes nationalistes.
Un des trucs qu’on a réussi, c’est à faire reconnaitre le problème des violences des groupes d’extrême droite sur Lyon, ce qui n’était pas évident pour tout le monde il y a quelques années : aujourd’hui, c’est un fait établi.
En plus, on a pu montrer à plusieurs reprises, en particulier au moment du mouvement des Gilets jaunes, qu’on pouvait y faire face.

À Lyon, les premiers mois, il y a eu beaucoup d’agressions de la part des groupes d’extrême droite, et pas seulement contre des militants de gauche, et, avec d’autres, on a organisé concrètement une autodéfense populaire, avec des autonomes, des syndicalistes, des militant·es politiques ou autres, alors que ce type de riposte n’allait pas forcément de soi, et on a pu de cette façon virer les fafs du mouvement.

Après, on a aussi pas mal de défaites, en particulier sur la question de l’implantation de l’extrême droite. Depuis plusieurs années, les fascistes arrivent à ouvrir des locaux, ils se font virer, dissoudre, puis ils remontent des locaux… Les Identitaires, eux, ont leur local depuis dix ans, ce qui est un gros problème, et une défaite pour nous, car on n’arrive toujours pas à le faire fermer.

Mais de votre côté, vous aussi vous êtes bien implantés localement ?
Oui, en contrepartie, c’est sûr, nous aussi on est actif pour ouvrir des lieux, illégalement ou non. À la GALE, on est très investi dans le quartier de la Guillotière. On a, avec d’autres militant·es autonomes, ouvert deux gros squats il y a deux ans : l’Espace communal Guillotière et un autre à côté, l’Annexe.

Il y a des logements pour plusieurs sans-papiers, et aussi beaucoup d’activités comme de la distribution alimentaire, des cours de français, des ateliers théâtre, du sport… Toutes ces activités sont tournées vers les habitant·es du quartier, en particulier les plus précaires. C’est une grosse victoire d’implantation, surtout dans ce quartier qui fait souvent la une de l’actualité, on est en attente du procès, mais il se pourrait bien qu’on arrive à pouvoir prolonger l’occupation pendant deux ans encore. Il existe aussi d’autres lieux, à la Guillotière ou à la Croix-Rousse, comme par exemple les librairies La Plume noire et la Gryffe, et d’autres locaux, et on n’est pas isolé.

Pour qu’on comprenne bien, tu peux rapidement nous présenter les différents quartiers de la ville ?
En gros, Lyon est à la confluence de deux fleuves, la Saône et le Rhône, qui partagent la ville en trois : la partie centrale, qu’on appelle la presqu’île, est la partie la plus bourgeoise et commerçante, touristique, sur la rive gauche de la Saône ; de l’autre côté, sur la rive droite, c’est le Vieux-Lyon, avec la cathédrale Saint-Jean-Baptiste et la basilique de Fourvière, qui est la partie religieuse, très touristique aussi, et qui est le bastion des groupes d’extrême droite, en particulier en raison entre autres de la présence d’églises traditionalistes. Sur la gauche de la presqu’île, il y a le Rhône, et sur la rive gauche du fleuve, c’est le quartier de la Guillotière.

1. Fourvière 2. Saint Jean (Vieux Lyon) 3. Presqu’île 4. pentes de la Croix Rousse 5. Guillotière [Capture d’écran du site Vanupied.com]

Historiquement, c’est un quartier ouvrier et d’accueil des migrants qui venaient chercher du travail à Lyon, car s’y trouvait le seul pont qui permettait de rentrer dans la ville. La Guillotière a toujours été pour cette raison un quartier populaire et ouvrier, comme celui de la Croix-Rousse, à l’arrière de la presqu’île, qui est celui des canuts, les ouvriers tisserands qui se sont révoltés dans les années 1830.
Lyon c’est petit, il suffit d’à peine dix minutes pour traverser un fleuve et changer de quartier, ce qui crée rapidement des tensions : pas besoin de se chercher, avec les fascistes, on peut se croiser très facilement. C’est ainsi que la Plume noire a été attaquée à plusieurs reprises, en septembre dernier, ou qu’un groupe néofasciste a profité du fait qu’on était à Paris pour une manif pour parader à la Guillotière après une soirée d’inauguration du local des Identitaires [1]… Il n’y a pas eu de dégradations, vu que les fafs ne sont pas trop tranquilles quand ils viennent dans ce quartier immigré. Mais on ne voudrait pas que ça devienne une habitude, comme à la Croix-Rousse, où une cinquantaine de fafs sont venus attaquer la librairie la Plume noire.

On va pas revenir en détail sur l’affaire qui a mené à ton incarcération et ton procès, mais est-ce qu’il y a des choses que tu voudrais dire à ce propos ?
D’abord, la disproportion entre les faits et la répression, et le fait que tout avait été ficelé à l’avance par la police et le parquet lyonnais qui ont dirigé l’affaire, juste pour nous envoyer derrière les barreaux pour presque rien.

On nous demande parfois si on va demander des dédommagements pour ça : en fait un seul d’entre nous pourra y prétendre, celui qui a été totalement relaxé, car les trois autres ont été condamnés à une amende de 300 euros, et ça suffit pour annuler l’indemnité.

Ce qui a été difficile aussi, c’est qu’on a été séparés lors de notre incarcération : moi à Villefranche (connue pour être la pire prison de la région), les trois autres à Corbas, à la demande du juge qui me considérait comme le « leader ». Une fois enfermé, je me suis un peu fait avoir : dans les premiers jours, j’ai eu un rendez-vous avec un surveillant, qui voulait discuter de mon engagement, savoir ce que je pensais de l’immigration, en mode discussion de comptoir. Moi, ça faisait 8 jours que j’avais parlé à personne, du coup je lui réponds. Au bout de quelques semaines, j’apprends que ma demande de remise en liberté est rejetée, et on m’explique que je peux m’inscrire à un stage de prévention contre la radicalisation en prison ! J’ai ensuite appris que c’était un gars des renseignements pénitenciaires : catalogué comme « détenu radicalisé » pour mes idées politiques (alors que dans le même temps la juge m’expliquait qu’on ne parlerait pas de politique au procès), j’ai pu assister à la première réunion du stage. Les autres participants étaient souvent là pour apologie du terrorisme islamiste, et du coup les discussions, c’était plutôt sur la laïcité, l’impact de l’engagement (politique ou religieux) sur la vie, des cours de sophrologie… Un stage de citoyenneté + +, pas obligatoire mais nécessaire pour obtenir des remises de peine.

Et le soutien ?
Le truc qui m’a montré qu’il y avait beaucoup de soutien, c’est que je recevais une dizaine de lettres chaque jour du mardi au jeudi, ça faisait beaucoup de bien, et il y avait des courriers de Grèce, de Suisse, d’Autriche, de Colombie, et bien sûr d’ici aussi.

Et tout ça, c’est grâce au comité de soutien : il faut bien préciser que ce n’était pas que les militant·es de la GALE, mais tout le milieu lyonnais qui s’est mobilisé et organisé, des autonomes aux syndicats. Même si ça nous a coûté du temps derrière les barreaux et de l’argent, cette affaire a soudé le milieu militant lyonnais autour de la question de l’antifascisme, et je pense que la création de ce comité, c’est une grosse force localement.

En essayant de nous affaiblir, la police et la justice nous a en fait renforcés, un mal pour un bien en quelque sorte. Il y a aussi eu une tribune de 120 personnalités dans la presse pour nous soutenir, et ça nous a aussi bien aidé, car les juges savaient qu’ils étaient attendus au tournant.

Et le Lyon Antifa Fest ?
L’idée a germé avant la GALE, et sa réalisation a été accélérée après l’arrestation de 25 antifascistes suite à une manif contre des nationalistes : pour faire face aux frais de justice, on a lancé le festival, mais il a tellement été apprécié des gens qui étaient venus de toute la France, et suite à cette première réussite on a décidé de continuer.

Ça fait huit ans que ça dure, et on reprend maintenant, avec une grosse affiche mais aussi pas mal de soucis. Dans une petite vidéo de promo du Fest qu’on avait publié sur Instagram, on entend un des groupes passés dans un de nos festivals, chanter une chanson anti-flic, et la foule reprendre le slogan « Tous les flics sont des bâtards » : Charles Prats, un juge parisien bien connu pour ses prises de position publiques contre les antifascistes (https://www.lefigaro.fr/faits-divers/le-magistrat-charles-prats-vise-par-une-enquete-administrative-20211021), a repris l’extrait sur Twitter, et il y a eu un emballement médiatique et politique. Laurent Wauquiez a annoncé qu’il couperait les subventions du lieu qui nous accueille depuis le début, le CCO de Villeurbanne, qui du coup nous a demandé de repousser le concert après les élections… On a décidé de maintenir le festival aux dates prévues, mais ailleurs, au Ground Zéro de Vaulx-en-Velin.

Comme chaque année, il y a une soirée rap le vendredi (avec Ärsenik, Juste Shani et Vin’s) et une soirée rock (avec la Brigada Flores Magon, Los Tres Puntos, Resaka Sonora et Cartouche).

Merci à toi pour tes réponses, qui nous ont permis de mieux comprendre la situation à Lyon. Et pour celles et ceux qui voudraient rencontrer les antifas lyonnais·es, rendez-vous au Lyon Antifa Fest les 10 et 11 décembre prochains !

Notes

[1Leur local, la Traboule, et leur salle de sport, l’Agoré, ont fusionné pour devenir Les Remparts.