Le 12 février 2021 Clément Gandelin, en tant que président de Génération Identitaire, a reçu une notification d’engagement pour une procédure de dissolution administrative pour le mouvement. En rendant publique cette notification, Génération Identitaire est devenu en quelques jours la coqueluche des rédactions les plus réacs de l’audiovisuel français (CNEWS/C8, Sud Radio, BFM TV…) atteignant ainsi une notoriété jamais atteinte jusque-là par le groupuscule. En parallèle, une partie de ce qu’on appelle désormais la « droite hors les murs » mais également la plus grande partie de l’extrême droite française a affiché son soutien aux Identitaires. Tout ce petit monde se promettait même de se retrouver lors de la grande manifestation annoncée par Génération Identitaire pour le 20 février 2021 dans les jours qui ont suivi l’officialisation du projet de dissolution.

Une manifestation qu’on peut qualifier d’échec avec un rassemblement constaté finalement en faveur de Génération Identitaire. La mobilisation n’a pas mobilisé plus de quelques centaines de personnes malgré les chiffres annoncés par Génération Identitaire (plus de 3000 personnes !) et ceux de la Préfecture (1500).

Les têtes d’affiches espérées (Zemmour, Ménard et quelques autres cadres du Rassemblement National) avaient déserté l’évènement perçu de leur point de vue comme un évènement risquant de les desservir [1].

L’extrême droite dans sa grande majorité s’est très peu mobilisée globalement. Juste récompense pour un groupuscule qui a toujours pris soin de ne pas être mêlé aux évènements unitaires de l’extrême droite [2]. Rappelons également qu’ils étaient très hostiles à toute présence des autres formations nationalistes lors de leurs manifestations et veillaient à les reléguer en fin de cortège, leur interdisant tout port de drapeau, banderole ou autocollant leur permettant d’être identifié comme tel [3] .

Les Identitaires ont rarement fait l’unanimité dans les rangs nationalistes, en particulier compte tenu de leur ligne politique jugée très light et légaliste sur le fonds et la forme. Leur volonté de ne pas se prononcer sur le conflit israélo-palestinien, voir leurs prises de contacts avec une partie de la communauté juive la plus à droite en France les ont beaucoup isolé du reste de l’extrême droite française.

Celle-ci estime que Génération Identitaire est une victime collatérale des ambitions de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur s’offrant ainsi « un totem d’immunité républicaine » pour gommer des années jugées très droite de l’échiquier politique.

Certains y voient une stratégie de la tension de la part du gouvernement ayant pour objectif de casser les derniers groupes d’extrême droite structurés et organisés en poussant les militants les plus fragiles psychologiquement vers un activisme plus violent légitimant le danger du terrorisme d’extrême droite [4] .

La délégation Schild & Vrienden au rassemblement du 20 février 2021

Cette manifestation du 20 février a toutefois donné l’occasion d’apercevoir quelques têtes connues du Parti de La France (pourtant assez peu en phase avec la ligne des Identitaires) et des Zouaves Paris. Quelques militants identitaires belges Schild & Vrienden [5] et du Mouvement Identitaire Souabe (Identitären Bewegung Schwaben - IBS) avaient fait le déplacement. Les membres de l’IBS avaient déjà été remarqués pour leur participation aux universités d’été des Identitaires en 2016 et 2018 et lors de l’opération Defend Europe dans les Alpes en 2018 [6].

2ème en partant de la gauche Jonathan Rudolph et à droite Sven Engeser membres de l’IB Schwaben

Bien qu’ayant tenté de se faire discret, Gilles Soulas a été reconnu dans la foule, notamment lors du discours de Florian Philippot [7]. Depuis son retrait en 2017 de l’Echoppe Médiévale à Paris, il se mobilise pour certains évènements liés à l’extrême droite radicale comme les rencontres de Synthèse Nationale ou la séance de dédicace d’Éric Zemmour [8] à la Nouvelle Librairie [9]. Il était alors en charge de la sécurité du polémiste. Ce n’est pas la première fois qu’on le retrouve sur une initiative des Identitaires. Il avait été identifié, tout comme Jean-Yves Le Gallou dans le cortège de la manifestation de Génération Identitaire du 17 novembre 2019.

Gilles Soulas au premier plan à gauche dans une manifestation en soutien aux Chrétiens d’Orient le 21 septembre 2014. Photo REFLEXes

Quel futur pour Génération Identitaire
Le décret de dissolution du mouvement a été prononcé le 3 mars 2021, une bataille judiciaire va maintenant s’engager pour contester cette dissolution [10] [11]. Génération Identitaire va certainement continuer d’exister et ses membres vont lui trouver un nouveau nom. Si les comptes telegrams du mouvement sont muets depuis le 1er mars, Génération Identitaire continue de communiquer via les comptes persos des cadres du mouvement dont Thaïs Descufon. Leur site est toujours actif à ce jour, il relaie notamment la pétition demandant l’annulation de la dissolution.

Depuis sa fondation les Identitaires s’étaient préparés à une possible dissolution en multipliant les structures associatives. Ainsi, sur les dernières années, ils ont déposé plusieurs statuts dont celui de Defend Europe aujourd’hui difficile à utiliser pour rebondir compte tenu de son nom. Parmi les autres structures identitaires en sommeil, on trouve GI Europe, déclaré le 18 mai 2018 en préfecture, dans laquelle Clément Gandelin, actuel président de Génération Identitaire, est partie prenante, ainsi que Génération Solidaire ou l’association simplement nommée « GI ». A chaque fois, les statuts déposés sont similaires avec des cadres des Identitaires à leurs têtes et des domiciliations à des adresses liées aux activités de ces derniers.

Militants de Génération Identitaire devant le local parisien en juin 2018

Remonter ou réactiver immédiatement une structure nationale semble peut-être trop risqué au niveau judiciaire d’autant qu’il sera sans doute compliqué d’utiliser le terme identitaire dans ce nouveau nom. Il est possible que Génération Identitaire se reconstitue d’abord via les groupes locaux pour laisser passer l’orage judiciaire et reprendre rapidement une activité militante.

Si l’on prend l’exemple de Paris, il y a bien sûr Paris Fierté, active depuis presque 15 ans qui organise un rassemblement chaque année en hommage à Sainte-Geneviève, sans jamais engager officiellement la structure parisienne. Mais il y a peu de chance que les Identitaires grillent la structure. On pourrait voir réactivés au niveau légal des noms comme le Projet Apache, le Cercle Sainte-Geneviève ou le Genofeva Fight Club (même si le terme Fight Club attirerait tout de suite l’attention).

Marc Verdier, responsable de Paris Fierté, durant l’opération Defend Europe en 2018

La polémique liée à leur dissolution a permis aux Identitaires de gagner en audience et peut-être même de récupérer quelque sympathisants / militants supplémentaires, ils vont devoir gérer les « mythos », ces sympathisants ou militants exaltés, très portés sur le choc des civilisations et la guerre civile contre les immigrés et l’Islam, prêts à passer à l’action [12] . Quoi qu’il en soit Génération Identitaire va devoir évoluer, modifier sa stratégie voire nouer de nouvelles alliances.

Le mouvement avait déjà pris conscience de la nécessité de faire évoluer leur mode d’action lors du déploiement le 3 mars 2021 d’une banderole sur un pont parisien afin de protester contre leur dissolution. Des policiers avaient alors intercepté les militants d’extrême droite avant le début de leur action. Cette interruption tranchait par rapport à la relative impunité dont ils bénéficiaient jusqu’à ce jour (attaque des locaux de SOS Méditerranée le 5 octobre 2018 à Marseille, occupation du toit de la CAF de Bobigny le 29 mars 2019, provocation lors de la marche en hommage à Adama Traoré place de la République le 13 juin 2020…). A noter que la police avait été très courtoise et prévenante, contrairement à ce que les militants et militantes du mouvement social ont l’habitude de subir lors d’action ou de manifestation en terme de violence.

Concernant son évolution politique et la possibilité de nouer de nouvelles alliances, il y a peu de chance de voir les Identitaires se tourner vers le Rassemblement National. Les affinités entre les Identitaires et le Rassemblement National relèvent désormais de l’histoire ancienne. La formation de la fille de Jean-Marie Le Pen a déjà récupéré les profils qui l’intéressait comme Philippe Vardon ou Gaëtan Bertrand [13]. Par ailleurs, l’homme capable de faire le lien entre les deux structures, Nicolas Bay, n’est plus dans les petits papiers de la présidente du RN. Les proches de Marine Le Pen ont pu constater les limites des compétences en matière de communication des Identitaires, surtout à l’échelle d’une structure comme le Rassemblement National.

L’entente cordiale entre les deux structures a permis pendant des années à quelques militants de Génération Identitaire de figurer sur des listes RN pour certaines élections ou d’être engagés comme prestataires de service en communication pour les élus et mairies RN. Cette possibilité d’évoluer professionnellement et politiquement se referme donc, replongeant les Identitaires dans l’éternel problème qui se pose depuis la fondation du mouvement en 2002 [14] : Quels débouchés militants et politiques proposés à ses membres [15] qui rentreront dans la vie active et voudront sans doute passer à autre chose une fois que le temps du militantisme « étudiant » est passé, chose que les Identitaires n’ont jamais réellement pu proposer sur la durée, lorsqu’était venu le temps de dépasser le stade de l’engagement dans une structure de jeunesse.

Romain Espino au colloque de l’Institut Iliade en 2019 pour parler de l’opération Defend Europe

La seule structure vers qui les Identitaires pourraient se tourner est l’Institut Iliade [16], dernier avatar en version light et grand public de la Nouvelle Droite, avec quelques anciens du GRECE et Club de l’Horloge comme Jean-Yves Le Gallou et des membres de la rédaction d’Eléments, François Bousquet. Cette structure, très radicale sur le fond, a la chance de pouvoir rassembler aussi bien des Identitaires, que des personnalités de la droite « hors les murs » et des supporters de Marion Maréchal Le Pen. Véritable carrefour où se rencontrent les différentes tendances de la droite, l’Institut Iliade semble petit-à-petit s’imposer comme un point de convergence incontournable.
Un rapprochement avec les Identitaires leur permettrait d’avoir une petite base militante (même si le but premier de l’Institut n’est pas d’être un énième groupuscule qui aurait vocation à tenir la rue, Nouvelle Droite oblige), tandis que les cadres de Génération Identitaire trouveraient là une opportunité de débouchés pour continuer leur carrière politique « plus adulte ». Du côté de l’Institut Iliade, l’intérêt pour les jeunes générations est réelle [17]. Se rapprocher, voir intégrer un certain nombre d’individus idéologiquement proche, formés au militantisme de terrain et à la communication sur les réseaux sociaux serait une vraie plus-value pour cette structure.

Jean-Yves Le Gallou et Alain De Besnoit au colloque de l’Institut Iliade en 2019

La présence de Jean-Yves Le Gallou permet d’apporter du crédit à cette hypothèse. Via la Fondation Polemia dont il est le président, Le Gallou a toujours été très attentif aux actions et à l’évolution des Identitaires. Le qualifier de compagnon de route bienveillant des Identitaires n’est pas un contre-sens. Ces derniers mois il a été de plus en plus présent lors des initiatives des Identitaires, allant jusqu’à prononcer un discours lors du dernier rassemblement de la marche en hommage à Sainte-Geneviève le 16 janvier 2021.

Jean-Yves Le Gallou en mode "ultra" lors de la manifestation du 17 novembre 2019