Le 1er septembre 2022 est décédé le militant nationaliste radical Jack Marchal, passé par Occident, le GUD, Ordre nouveau, le Parti des Forces nouvelles puis le Front national. Peu connu du grand public, le nom reste néanmoins central pour les observateurs de l’extrême droite française et les différents courants que composent cette famille politique : nos camarades du site antifasciste REFLEXes en dressent le portrait.

Si Jack Marchal a marqué l’extrême droite française, ce n’est pas en tant qu’idéologue ou chef de bande, mais bien comme l’un des rares personnages à avoir tenté d’incarner une contre-culture propre à l’extrême droite à travers la musique, le dessin ou le fanzine. Il est resté comme le créateur du Rat Noir du GUD et l’un des auteurs du livre les Rats Maudits avec Frédéric Châtillon [1].

Jack Marchal

Né en 1946, Jack Marchal se tient éloigné de la politique avant son arrivée à la fac de Nanterre en 1966, où il s’inscrit en sociologie. Politiquement, il se voit plutôt comme gaulliste de gauche, voire antifasciste, et déteste tout ce qui touche à la nostalgie de l’Algérie Française ou de l’OAS. Mais la fréquentation des « gauchistes du campus de Nanterre » [2] l’horripile au plus au point et lorsqu’il s’aperçoit que quelques « semi-voyous » [3] d’Occident viennent s’affronter physiquement avec les gauchistes, il se découvre une attirance pour les nationalistes. Il les rejoint à l’hiver 1966-1967.
À la dissolution d’Occident, il rejoint naturellement le GUD [4] puis fait partie du petit groupe informel autour d’Alain Robert [5] qui va fonder Ordre Nouveau. La petite bande se rassemble alors au Cercle du Panthéon, établissement tenu par Roger « Popeye » Holeindre, où ils croisent à l’occasion Jean-Marie Le Pen, qui est retiré de la politique à ce moment-là. Cet engagement militant ne l’empêche pas de partager des colocations avec différents membres de groupes d’extrême gauche de l’époque. [6]

La naissance du Rat Noir

A la création du GUD, Frédéric Brigaud [7] supervise la propagande du mouvement et veut imposer un style très visuel, capable d’être identifiable rapidement. L’idée est de s’imposer au premier coup d’œil dans les halls des universités au milieu de tous les affichages des mouvements d’extrême gauche, qui proposaient le plus souvent de très longs textes. Brigaud porte son choix sur des BD en grand format.
Marchal, qui dans son adolescence s’est intéressé à la BD, se retrouve à produire une BD quasiment quotidiennement pour commenter l’actualité politique ou raconter les « exploits » du GUD. Dans ses dessins, il glisse rapidement un petit rat (qui était gris au départ). Il s’inspire alors d’un personnage de la BD Chlorophylle contre les rats noirs de Raymond Macherot. [8]

Gérard Ecorcheville, qui s’occupe également de la propagande pour le mouvement, voyant Marchal s’amuser à dessiner les rats noirs de Macherot, fait le parallèle avec la façon dont l’extrême gauche représente les nationalistes radicaux. Il convainc Marchal que ce petit rat noir qu’il dessine régulièrement, c’est tout simplement la représentation du gudard de base !
Ce rat noir permet à Marchal de représenter les gudards de façon originale et décalée plutôt que, selon les propres mots de Marchal, de donner dans « l’héroïque chevalier hyperboréen » ou les « brutes casquées ». [9]

Enfin, l’extrême droite radicale se trouve un nouveau symbole, depuis que la croix celtique a été abandonnée pour éviter tout rapprochement avec Occident [10]. Le rat noir s’affiche rapidement sur les panneaux du GUD à Assas, sur les affiches du mouvement ou dans les pages d’Alternative, le fanzine du GUD. Un visuel qui fera mouche puisqu’en Italie, en Suisse et en Espagne, les militants radicaux d’extrême droite utiliseront à l’occasion le rat noir comme symbole. [11]
Le légende veut que si ce personnage a été aussi vite adopté par les membres du GUD, c’est qu’Anthracite, le rat de la BD de Macherot qui sert de modèle de base, semblait avoir les mêmes traits de caractère que le chef du GUD, Alain Robert, à savoir un chef tyrannique, cholérique et assoiffé de pouvoir. Par la suite, celui qu’on surnommait parfois « Petit Robert » sera également surnommé Anthracite. On peut remarquer que le rat noir de Marchal avait une cicatrice sur l’oreille gauche, tout comme Anthracite, le seul rat noir de la BD clairement identifiable.

A la dissolution d’Ordre Nouveau le 28 juin 1973, Marchal suit l’équipe d’Ordre Nouveau qui fonde le Parti des Forces Nouvelles (PFN) [12]. Au milieu des années 1980 il quitte ce parti[ Au début des années 1980, Marchal avait intègré la direction du PFN au côté de Roland Hélie.]] pour rejoindre le Front national.

Jack Marchal (à droite avec la cravate) à la commémoration de la mort de Franco le 20 novembre 1987 à Madrid.

Au moment de la scission en 1998-1999, il refuse de prendre position entre Le Pen et Mégret et quitte le FN. Lors d’une discussion sur l’un des forums consacrés au RIF au début des années 2000, il explique que s’il n’avait pas rejoint le MNR, c’était pour ne pas « de nouveau jouer au porteur de valises chiraquien », une référence directe à son expérience au Parti des Forces Nouvelles [13]. Dans les années 2000, il continue de fréquenter les milieux radicaux, avec un œil attentif sur les jeunes générations tout en maintenant le contact avec les anciennes générations (Occident, GUD, Ordre Nouveau, PFN).

Marchal et la musique

Dans les années 70 Marchal fréquente les jeunes radicaux de droite italiens qui sont alors très en avance sur leurs homologues français sur tout ce qui concerne la contre-culture. Ils ont réussi à créer une scène musicale composée de groupes de rock avec des musiciens nationalistes. Ces expériences vont donner l’idée à Marchal, associé à Olivier Carré en 1975 de se lancer dans la musique. Via le fanzine La Voce Della Fogna (La Voix de l’égoût), Marchal entre en contact avec Mario Ladich, batteur de Janus, groupe de rock nationaliste pour expérimenter cette voie.

Finalement, en 1979, Carré et Marchal se déplacent à Rome pour enregistrer "Science et Violence".

Carré et Marchal donnent un concert au camp Hobbit de 1980, puis quelques concerts entre 1980 et 1982. Il peut être considéré comme l’un des premiers groupes de rock français militant d’extrême droite et ouvrir la voie à quelques groupes comme D.Stop (musique industrielle « totalitariste ») et Force de Frappe (1981, cold-wave avec des textes très axés NR). Dans les années 1980 et jusqu’au milieu des années 90 il se tient éloigné de la musique [14]. Ce n’est que dans la seconde partie des années 1990 qu’il rejoint le groupe de Rock Identitaire Français (RIF) au côté de sa fille avec Elendil.

A l’image de l’ensemble de la scène RIF, la qualité musicale du groupe atteint à peine celle d’un mauvais groupe de reprises le soir de la fête de la musique. Marchal semblait d’ailleurs assez réaliste sur le bilan de cette expérience [15] : Le RIF était cantonné à un public militant qui n’avait rien d’autre à se mettre sous la dent, la qualité des compositions n’était pas stimulée : les groupes auraient « fait de la merde ils auraient tout autant été applaudis ».

A sa mort, quasiment l’ensemble de la mouvance nationaliste lui a rendu hommage (les différentes générations du GUD, des camarades d’Occident et Ordre Nouveau, les gens du GRECE et de la Nouvelle Droite, les anciens du FN et du PFN, mais aussi les jeunes nationalistes) … sans surprise seul Christian Bouchet s’est fendu d’une petite réaction désagréable comme il en a le secret : «  J’apprends à l’instant le décès de Jack Marchal, à l’âge de 76 ans. Ce n’était pas un "des nôtres", il était beaucoup plus modéré que nous et militait dans des groupes que nous considérions comme "réacs" ».

REFLEXes

Notes

[1Livre retraçant l’histoire des étudiants nationalistes des années 60 au milieu des années 90. Les Rats Maudits, Ed. des Monts d’Arrée 1995

[2Durant l’année 67-68, il se retrouve dans le même TD de sociologie que Daniel Cohn Bendit.

[3Il s’agit là des propos de Jack Marchal.

[4A l’époque on parle de Groupe Union Droit. C’est quelques années plus tard que l’acronyme GUD signifiera Groupe Union Défense.

[5Ancien de la Fédération des Etudiants de France, puis membre d’Occident, il sera par la suite le chef du GUD, d’Ordre Nouveau et participera à la fondation du Front National. Suite aux dissensions avec Jean-Marie Le Pen il part fonder avec une partie de l’équipe d’Ordre Nouveau le Parti des Forces Nouvelles au milieu des années 70. Au début des années 80 il rejoint la droite libérale et le RPR, après un passage au Centre National des Indépendants et Paysans comme beaucoup d’anciens de la mouvance. Proche de Charles Pasqua il participe à la fondation du Rassemblement pour La France. Membre de l’UMP en 2002, il rejoint naturellement les Républicains en 2015. Comme en témoigne la préface qu’il signe pour le livre Ordre Nouveau 1969-1973, raconté par ses militants éd. Synthèse Nationale 2019, « nous nous revoyons toujours avec joie, plaisir, complicité…on ne peut s’empêcher, lorsque nous nous croisons, d’avoir le clin d’œil complice de ceux qui ne regrettent rien ».

[6Ordre Nouveau 1969-1973, raconté par ses militants éd. Synthèse Nationale 2019, p.22

[7Ancien dirigeant d’Occident et diplômé des Beaux-Arts.

[8La BD a été publiée à l’origine dans le Journal de Tintin.

[9Propos de Jack Marchal dans Devenir numéro 13, revue nationaliste belge.

[10Et donc éviter un motif de dissolution du GUD.

[11Le personnage du Rat Noir sera présent dans les pages de revues nationalistes comme El Cadenzo (Espagne), La Voz de la Rata Negra (Espagne) et Rat Noir (Suisse).

[12Il racontera plus tard qu’il était conscient que l’expérience était vouée à l’échec.

[13Le PFN a souvent été accusé par Jean-Marie Le Pen et certains membres du FN d’avoir touché de l’argent de la droite libérale.

[14Des membres du GUD au début des années 1980 formeront un groupe et sortiront un 45t, mais Marchal n’aura aucun lien avec cette expérience.

[15Emission de la radio numérique d’extrême droite Méridien Zéro du 15 avril 2012.