Présenté comme un « carnet de chants voué à la préservation des cultures régionales », Canto est surtout composé de chants franchouillards, catholiques traditionalistes, militaristes et nationalistes. Normal : son fondateur, Charles Dor alias Lancelot Galey, est issu de la droite radicale, et ne renie rien de son passé.

Depuis quelques mois, des médias régionaux comme Ouest France, Le Télégramme ou France Bleu Bretagne, mais aussi des médias nationaux comme Europe 1 ou Le Figaro, font la promotion d’une application mobile, Canto, un carnet de chants numérique, disponible sur les plateformes de téléchargement d’Apple ou Google.

Ces médias ont permis aux deux porte-parole du projet d’expliquer qu’ils veulent préserver la culture populaire des diverses régions de France, et inviter les gens à chanter en groupe, dans un esprit de convivialité.
Rien à redire à cela, mais un examen plus attentif du répertoire proposé ainsi que le parcours du fondateur du projet, Charles Dor, montre qu’il s’agit de bien autre chose…
Si l’application propose effectivement plusieurs dizaines de chants régionaux, parfois dans la langue d’origine mais le plus souvent en français, de nombreux chants de marins et comptines pour enfants qui sentent bon la naphtaline, d’autres rubriques, largement alimentées, interpellent.
On passera rapidement sur les chants de chasseurs, les chansons à boire et les chansons paillardes, bien qu’ils en disent long sur une certaine image que Canto se fait de la France, et aussi de la femme…

La grande classe, à la française.

Canto fait également la part belle aux chants militaires, avec une très nette préférence pour ceux de la Légion étrangère, des paras ou de la Coloniale. À noter que la plupart des notices qui accompagnent les chants militaires renvoient vers le travail du militant d’extrême droite Thierry Bouzard à qui nous avons déjà consacré un petit portrait.

Plus troublant, un grande partie du répertoire proposé est constitué de chants catholiques (rassemblés dans une rubrique pudiquement intitulée « chrétienté ») de chants scouts, pour ces derniers souvent piochés dans le répertoire tradi des scouts d’Europe. Dor s’en justifie en disant que c’est chez les scouts qu’il aurait appris à chanter. Soit…

Mais si Canto se veut un catalogue de chants traditionnels, il veut aussi être celui des chants nationalistes. On retrouve ainsi au catalogue « Les Lansquenets », un chant très populaire à l’extrême droite, qui plaît aussi bien aux cathos tradis qu’aux nationalistes révolutionnaires.

Canto propose d’ailleurs un lien vers une version "moderne" de cette chanson, interprétée par le groupe de rock d’extrême droite Fraction, créé par Fabrice Robert et Philippe Vardon, les deux fondateurs des Identitaires. [la version rose est une ancienne version de Canto, mais la chanson est toujours présente dans la nouvelle version bleue.]

On trouve également « J’avais un camarade » (en français et en allemand, s’il vous plaît), un hymne des mouvements néofascistes à travers l’Europe.

Canto compte aussi plusieurs titres du répertoire des Chœurs Montjoie Saint-Denis, une chorale nationaliste amateur, comme « Occident en Avant », « Europe Libère-toi » ou encore « Rappelle-toi, Jeanne ».

Cette chorale a été fondé par Jacques Arnould, un ancien militant solidariste du Groupe Action Solidariste parti se battre au Liban aux côtés des Phalanges libanaises, qui a ensuite rejoint les rangs de Chrétienté Solidarité, le mouvement national-catholique de Bernard Antony.
Les Chœurs Montjoie Saint-Denis sont partie prenante de Canto : non seulement le fondateur de Canto en a fait partie, mais l’un de leurs membres, Vianney Alphé (frère d’Yves Alphé, alias Goldofaf) passe même par le Facebook de Canto pour recruter.

On peut aussi trouver sur Canto les paroles de « la France de Demain », une chanson du collabo André Dassary, surtout connu pour être l’auteur de « Maréchal, nous voilà ! » (chanson absente de Canto, un oubli, sans doute).

"La France de Demain" était la chanson de la face B du disque "Maréchal nous voilà !" d’André Dassary.

Enfin, last but not least, on peut aussi s’ambiancer avec « Les Chacals », proposée en version « païenne » ou « chrétienne », selon les goûts.

Alors bien sûr, on y trouve aussi, pour faire bonne figure, « La Semaine sanglante », « l’Internationale », le « Chant des Partisans » ou « A las barricadas », l’hymne de la CNT. Mais on connait la chanson : la Serp, la maison de disques de Jean-Marie Le Pen, éditrice dans les années 1960-1980 de chants SS et autres discours de Pétain (et aussi, un peu plus tard, des disques du Chœur Montjoie Saint-Denis), avait également édité des chansons anarchistes, mais sans tromper personne.
En tout cas, les médias d’extrême droite, eux, ne s’y sont pas trompés : FdeSouche en fait la promotion, le site identitaire Breizh Info a interviewé son fondateur, Boulevard Voltaire également ; Canto est ainsi bien relayé sur la chaîne Youtube d’Ecologie Humaine, un mouvement de la droite conservatrice et catholique.

Comme Canto est un site collaboratif, on pourrait penser que ces textes viennent de l’extérieur, mais les textes nationalistes et tradis sont parmi les plus anciens. Rien d’étonnant, quand on retrace le parcours de son fondateur et principal animateur.

Non, gars, tu t’appelles Lancelot Galey, en fait.

Car si Rémi Creissels, son acolyte moustachu dans les vidéos de promotion, ne nous disait rien, Charles Dor, le fondateur du projet, est bien connu à l’extrême droite, mais sous le nom de Lancelot Galey [1]. C’est d’ailleurs sous ce nom qu’il se fait appeler dans les premières versions du site internet du projet Canto, présenté comme issu de la société "Lancelot Conseil", dirigée par… Lancelot Galey.

Né en janvier 1983, Lancelot Galey, qui n’est pas encore Charles Dor, affichait fièrement dans sa jeunesse son national-socialisme, ce qu’il ne semble pas vraiment renier aujourd’hui, quoique de façon plus discrète.

En 2015 (à gauche), Galey se revendiquait fièrement nazi (NS=national-socialiste). Aujourd’hui, en août 2022 (à droite), c’est plus cryptique, mais la référence à l’emblème de la 3e division SS (dite "Totenkopf") sur son t-shirt ne laisse pas trop de place au doute.

Il partageait ainsi sur les réseaux sociaux des petites blagues d’un goût plus que douteux, comme le montrent ces copies d’écran de sa page Facebook de l’époque, capturées par nos camarades de REFLEXes.

Sur son CV, Galey indique qu’il avait, de 2008 à 2010, des « responsabilités dans un syndicat étudiant » sans préciser, comme s’il en avait honte, qu’il s’agissait du GUD, un mouvement étudiant ultranationaliste et violent.

Lancelot Galey en queue de cortège, dans les rangs du GUD le 9 mai 2010 à Paris.

À Boulevard Voltaire, Galey confie : « c’est surtout à l’âge de 20 ans que j’ai redécouvert le chant avec des copains. » Et quels copains ! Ici, on peut le voir faire la fête avec Edouard Klein, le dirigeant de GUD à l’époque, Tanguy Eude, chanteur du groupe de rock nationaliste FTP et Hadrien Pucheu, un militant d’extrême droite suisse.

Enfin, sa petite amie d’alors, Jeanne Pavard, était aussi une militante d’extrême droite, au syndicat Rassemblement étudiant de droite (RED), issu du GUD.
En 2013, on retrouve Lancelot Galey aux côtés d’Axel Loustau, lui aussi un ancien du GUD, lors d’événements violents pendant la Manif pour Tous.
Côté musique, Galey aime alors se trémousser sur les hymnes martiaux du groupe de rock identitaire In Memoriam : « Si tu aimes cette terre où tu as vu la vie, / Qui tout au long des siècles ne t’a jamais trahi, / Alors il est grand temps pour toi de te dresser, / De préserver à tout jamais ton identité. » (« Résiste »).

Galey à un concert d’In Memoriam en 2012, dans les locaux des néofascistes de la Casapound.

Erreur de jeunesse ? tu parles, Charles ! En 2020, sur le compte FB du projet Canto, Galey déclare : « transmettons ensemble notre multiple Héritage ». Quelques mois plus tard, il explique sur l’un de ses comptes publics ce qu’il entend par « transmettre un héritage », à travers une citation :

Or il s’agit de l’extrait d’un poème publié en 1937 par un médecin nazi membre de la SS, Lothar Stengel von Rutkowski [2] ! Précisons que la seule traduction en français que nous connaissions de ce poème se trouve dans un ouvrage à la gloire de la SS, écrit par Edwige Thibaut et préfacé par Léon Degrelle, et qui a été interdit par décret en 1992.

Le médecin SS Lothar Stengel von Rutkowski : une source d’inspiration pour Galey.

Puisqu’on parle lecture, quand Galey nous fait part de ses écrivains favoris, il cite Dominique Venner, Jean Mabire, Julius Evola… Tous des penseurs de la droite la plus extrême.

Enfin, quand il s’agit de célébrer les traditions, Galey choisit le solstice d’hiver et invite à lire le magazine Éléments, revue de la Nouvelle Droite, pour le célébrer :

Mais c’est aussi sur le plan professionnel que les amitiés de Charles Dor / Lancelot Galey au sein de la grande famille des anciens du GUD se révèlent.

CV de Charles Dor/Lancelot Galey : depuis dix ans, ses principaux employeurs sont des militants de l’extrême droite radicale.

Quand on retrace son parcours professionnel, on constate qu’il a travaillé de 2012 à 2013 comme chef de projet à Cigale Medias, une des boites de Frédéric Chatillon, leader du GUD dans les années 1990. De 2013 à 2015, c’est pour Images 7, la société de communication fondée par Anne Meaux, leader du GUD dans les années 1970 [3]. Ensuite, après un petit passage au sein du magazine L’Essor de la gendarmerie, il fonde sa propre société de conseil, dont il s’occupe entre 2016 et 2019.
À partir de février 2019, il rejoint deux sociétés de Tristan Mordrelle, Inpectore Fundraising et OmniRaise, spécialisées dans la levée de fonds.
Fils d’un agent des renseignements nazis, Tristan Mordrelle est né en 1958 en Argentine : de retour en France, il rejoint les rangs de la Nouvelle Droite, au GRECE [4] dont il finit par s’éloigner. Il participe dans les années 1990 aux activités pronazies de la Communauté d’entreprise Noroît Suroît, en particulier comme gérant de la librairie révisionniste Ogmios, au sein de laquelle il emploie Frédéric Chatillon.

Dans les années 2000, Mordrelle, le plus souvent sous le pseudo transparent de Tristan Hemmes, va se spécialiser dans la levée de fonds, une expérience acquise aux États-Unis au sein d’un institut conservateur : en 2009, il crée OmniRaise avec Philippe Thomazo qui est un ancien responsable de l’UNI [5], membre des jeunes Républicains et chef d’une troupe de scouts d’Europe. Dernièrement, Tristan Mordrelle s’est chargé de la levée de fonds pour la campagne présidentielle d’Eric Zemmour.
Mordrelle, Thomazo et Galey sont proches au boulot comme dans la vie, comme le montre la photo ci-dessous.

De gauche à droite : Philippe Thomazo, Tristan Mordrelle et Lancelot Galey. [Source : Facebook de Charles Dor]

C’est fort de cette expérience que Lancelot Galey va professionnaliser le projet Canto, dont l’idée lui serait venue en 2018.
En janvier 2022, les statuts de l’association stipulent que Lancelot Galey en est président à travers sa société CDOR Conseil, dont il est l’unique gérant et associé.
Le strasbourgeois Gauthier Brioude rejoint le projet, en tant que trésorier : lui aussi vient de l’extrême droite, puisqu’il est le responsable d’un "incubateur" de projet de l’institut Iliade, Le Nid.
On notera l’absence de Remi Creissels au sein de l’association, alors qu’il est présenté partout comme le "compère" de Dor/Galey : à sa place, comme secrétaire de l’association, on trouve encore un militant d’extrême droite, Lucas Chancerelle.

Lucas Chancerelle [Photo : Le Telegramme]

Militant Front National à 15 ans, il dirige la campagne du candidat FN aux législatives à Lorient en 2017, et devient délégué départemental Génération Nation du Morbihan puis responsable de la première circonscription du Rassemblement national du Morbihan. Chancerelle milite activement pour "l’union des droites" au sein du Cercle d’études pour la renaissance française (CERF), et a animé à Vannes, pour les élections municipales de 2020, une liste d’union des droites, menée par Guillaume Péguy. En 2021, il quitte le RN pour Zemmour, devenant le responsable de Génération Z Bretagne.

Rémi Creissels représente Canto lors de la Nuit du Bien Commun, en novembre 2021.

En novembre 2021, lors de la 5e édition de « La Nuit du Bien commun », une opération de levée de fonds pour des associations, on compte parmi les 12 lauréats le projet Canto, qui est reparti ce soir-là avec 60 000 euros… Bernard de La Villardière, qui est au comité de soutien de cet événement, a d’ailleurs offert une tribune à Canto sur son média NEO.

Dans une vidéo du Livre Noir, il justifie la pertinence de Canto en ces termes : « La France est un pays très divers. On n’a pas besoin de recevoir des leçons de diversité, en disant : " il y a la diversité de peau, la diversité de genre", tout ça c’est un peu vain, ça passe au second plan : ce qui compte, c’est la diversité des territoires […] J’en ai ras-le-bol de cette propagande de la fausse diversité. » Décidément, le projet est bien plus politique qu’il le prétend !
En mars 2021, Galey expliquait ainsi son projet : « Chanter est aujourd’hui un acte révolutionnaire. Est-ce qu’on en n’est pas tous, à se demander si ce monde ne devient pas fou ? Que nous avons de plus en plus de mal à le comprendre ? Et nous nous voyons les yeux fixés sur nos écrans, chacun dans son monde, sans plus se rencontrer ? Nous sommes conscients que l’avenir, notre avenir, ne peut pas ressembler à aujourd’hui. (…) La déconstruction systématique va finir par s’inverser, et Canto sera là et apportera sa pierre. » Au vu du parcours politique du personnage, ce discours un peu fourre-tout peut se comprendre comme une authentique offensive réactionnaire. Et Galey voit les choses en grand : il rêve de podcasts, de tutos vidéos…
Pour le moment, le principal problème posé par l’application Canto est celui du mélange des genres, et d’un système de suggestion « alétoire » qui fait qu’après avoir cherché les paroles d’une chanson pour enfant, l’app propose dans ses suggestions des chants d’extrême droite comme « les chacals » ou « La France de demain » en toute décontraction.

Le mode aléatoire fait la part belle aux chants nationalistes, qu’on peut croiser entre les paroles de l’opening d’un anime et une chanson de Noël…

Galey ne s’en cache pas : il souhaite non seulement organiser des événements publics dans des bars, mais également s’inviter dans des établissements scolaires ; sur son site, il est d’ailleurs précisé qu’il peut compter sur le soutien du ministère de la Culture…

L’extrême droite a appris depuis longtemps (de la gauche) que pour s’imposer politiquement dans les esprits, il fallait s’imposer culturellement. Avec son carnet de chants nationalistes et traditionalistes, l’application Canto de Lancelot Galey s’inscrit totalement dans ce projet.

La Horde, avec l’aide de Rogoine et REFLEXes

Notes

[1Sur les réseaux sociaux, Dor/Galey utilise également le pseudo de Lancelot Dubin

[2cf. Edwige Thibaut, L’Ordre SS, Avalon, 1991, p.105.

[3Elle rejoindra ensuite le PFN puis l’UDF de Valéry Giscard D’Estaing, au sein duquel elle gagne le surnom d’ »Eva Braun »…

[4Groupement de recherche et d‘études pour la civilisation européenne, un think tank d’extrême droite.

[5Union Nationale Inter-universitaire, un syndicat étudiant de droite extrême.