Retour sur les dernières frasques de Dieudonné et de ses soutiens occasionnels. Cela fait un certain nombre d’année que le "comique" ne nous fait plus rire mais comme la période est à la confusion, il est nécessaire d’enfoncer le clou. Merci à CQFDde nous avoir fait parvenir la version texte. Cela ne vous dispense pas de l’acheter et de soutenir ainsi la presse libre et indépendante. Signalons aussi un autre excellent article dans le journal Article 11sur Alain Soral et son petit business qui va bien .

Dieudonné - La sinistre farce des quenelles

MDR. Dire qu’il y a des gens qui croient encore que Dieudonné est un comique, le « meilleur de sa génération » même, dont les provocations lui ont valu d’être ostracisé depuis une dizaine d’années aux marges du showbiz. Mais comment ne pas voir derrière ses mimiques l’expression achevée d’une dérive antisémite et homophobe (1) ?

Tout compte fait, Dieudo n’aura eu besoin de personne pour s’enfoncer dans son enfermement mental d’antisémite obsessionnel. Depuis 2004, il a eu néanmoins recours aux services de quelques éminences grises, déjà excommuniées du débat public, qui l’ont aiguillé vers l’irrémédiable : Serge Thion, ancien militant anticolonialiste passé à l’écurie négationniste (2) puis Robert Faurisson lui-même qu’il fit monter sur scène et jouer dans des sketches ; et bien sûr son mentor : Alain Soral, ancien ramasse miettes des plateaux télé et écrivain ambitionnant le statut d’intellectuel, devenu gourou du site égalité et réconciliation qui, se réclamant de la « droite des valeurs et de la gauche du travail », n’en oublie pas moins sa particule pour animer des conférences de l’Action française. Ultime mauvaise fréquentation, cet été, Dieudo a pu pactiser avec Serge Ayoub, chef des nationalistes révolutionnaires, autour du cadavre de Clément Méric en concluant, rictus aux lèvres : « Nous avons un même ennemi. » Même pour des admirateurs un peu myopes, il est devenu impossible de ne pas constater que, sur la photo de famille, il n’y a que des fachos, des conspis et autres amoureux de régimes autoritaires – la Libye de Khadafi, la Syrie de Bachar (dont l’ex-gudard Frédéric Chatillon est l’ambassadeur officieux) ou la Russie de Poutine (3)…
De façon incompréhensible, Dieudonné passe encore parfois chez certains pour un militant antiraciste, un justicier de la traite négrière, un défenseur de la cause palestinienne… Illusion calamiteuse propre à notre époque de confusion, où la critique sociale se voit souvent réduite à un discours binaire anti-impérialiste, contre l’oligarchie financière mondialiste, discours simplifié et dévoyé à son tour par Dieudo et consorts sous l’appellation d’« antisionisme ». Il s’agit en l’espèce, le recyclage pur et simple des vieilles obsessions du complot « judéo-maçonnique », sataniste et pédophile sur les bords. Malgré le tour passe-passe consistant à faire passer pour révolutionnaire une pensée paranoïaque et réactionnaire, il n’y a aucun mystère sur cette filiation idéologique, comme en atteste la propagande diffusée par les éditions Kontre-kulture de Soral : Ils sont bien les héritiers de l’abbé Barruel, d’Édouard Drumont et d’Henri Coston (4).
Pour prendre la mesure de la duplicité de Dieudonné, il faut visionner son intervention sur la chaîne francophone iranienne Sahar TV en 2011 où, sans mimiques, il évoque pieusement Ahmadinejad, le prophète Mohammed, l’exemplarité de la révolution iranienne, le Christ « prophète de l’Islam », le « Malin » (=le sionisme) et déplore qu’en Occident « la religion [ait été] remplacée par les valeurs du sionisme » sous l’influence notamment des manuels scolaires puisque « Fernand Nathan était un sioniste (sic) » ! Cet examen de passage, où l’on sent le « combattant de l’humour » – comme il se nomme lui-même – légèrement tendu et confus, s’inscrivait dans un contexte de recherche de financements pour ses films. Car faute d’être financé par Babylone, Hollywood ou Jérusalem, le métier d’artiste est âpre sans pognon, il lui fallait donc en chercher chez les meilleurs ennemis de son ennemi : à Téhéran. Soral lui-même, à force de s’étaler sur le web, a involontairement contribué à faire enfler le bruit d’une subvention iranienne de trois millions d’euros perçue par la liste antisioniste lors des élections de 2009, que d’anciens colistiers lui reprochent aujourd’hui d’avoir tout simplement détournée (5).

Mais si l’ambiguïté sur le personnage persiste, cela est surtout dû à sa capacité, reliquat d’un savoir-faire de saltimbanque et de vedettariat, à mettre les ricaneurs de son côté. Pointer le doigt en l’air en plissant les yeux (« Au-dessus c’est le soleil ! ») ou faire le geste de la quenelle suffit à faire croire à son fan-club – constitué de quantité de nerds, d’authentiques nazebroques, mais aussi d’un public arabe et noir (6) qui pense voir en Dieudonné et Soral des alliés antiracistes, là où il n’a que des rabatteurs pour le Front national – que s’accomplit un geste séditieux.
À l’heure où Dieudonné s’apprête à faire crouler de rire les zéniths de France, des avalanches de quenelles déferlent sur le net. On peut croire que pour beaucoup, il ne s’agisse jusque là que d’une forme de pied-de-nez potache sans réel sous-entendu : on « glisse » des quenelles sur facebook entre collègues de bureau, dans les vestiaires du commissariat, en patrouille de chasseurs alpins devant une synagogue, le jour de son mariage, chez les sportifs de haut niveau (Yannick Noah, Teddy Riner, Tony Parker), même chez les jeunes Umpistes ou en posant avec une vedette politique tout en faisant le geste à son insu pour se moquer d’elle. Pour d’autres en revanche, c’est un geste chargé d’un message authentique contre l’oligarchie, comme le chante une certaine Mérée Drante sur l’air de La Bohème de Charles Aznavour : « Se payer des élites, plus elles sont connues, plus les bras sont tendus […] On n’a plus peur de rien du tout. » Surtout pas de la honte et du ridicule…
Le rappeur « muslim » Médine est une des récentes « vedettes » en date à s’être livrée à cette pitrerie sur sa page Facebook. Suivi de près par le suprématiste blanc norvégien Varg Vikernes le jour de sa comparution au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Peu avant, Gollnish et Jean-Marie Le Pen, hilares, mimaient ce geste « antisystème » aux côtés de jeunes « issus de la diversité ». Une belle brochette de rigolos, en vérité ! De même, cela ne gêne pas nos apprentis dissidents de voir Soral déblatérer ses commentaires politiques sur youtube vêtu d’un polo de l’administration pénitentiaire, de la police ou du Raid que lui ont envoyé ses admirateurs au sein des corps coercitifs ; de même quand Dieudonné, sûr de ses soutiens dans l’armée et la police, en appelle, pour rire bien sûr, à l’éventualité d’une « révolution par la quenelle », il reproduit dans la farce le vieux rêve des fanatiques de l’ordre, à savoir renverser martialement la démocratie décadente.
Dernier fait d’arme, lors de l’audience du 17 octobre du TGI de Paris, où le « combattant de l’humour » se voit poursuivit par la Licra (étonnant, non ?) pour sa subtile « chanson potache » « Shoah ananas », une centaine de ses partisans entonnent une Marseillaise tonitruante face à une poignée d’excités de la Ligue de défense juive, groupuscule sioniste d’extrême droite violent, rebaptisé sur son site « ligue des forces d’occupation ». Chapeau bas et garde-à-vous !
Au final, ce qu’il y a d’affligeant et de nuisible dans le cas Dieudonné, ce n’est pas tant qu’il soit devenu ce qu’il est, mais le fait que sa posture de comique maudit, assez lucrative par ailleurs (7), puisse passer pour une révolte mordante contre l’organisation actuelle du monde alors qu’il ne contribue qu’à la renforcer par le discrédit antisémite. :-[
Mathieu Léonard

1.  « Le mariage gay est un complot sioniste » déclarait-il en avril 2013 lors d’un déplacement en Algérie. Son navet infâme L’Antisémite et sa nouvelle pièce Le mariage pour tous appuient lourdement sur cette lubie.
2.  Serge Thion participait au site Lesogres.org fondé par l’humoriste en 2004 et disparu depuis.
3.  Sur les réseaux dieudonnistes, lire Jean-Paul Gautier, Michel Briganti et André Déchot, La galaxie Dieudonné : Pour en finir avec les impostures, Syllepse, 2011.
4.  L’abbé Barruel (1740-1820) était un jésuite contre-révolutionnaire qui imputait les causes de la Révolution française à un complot franc-maçon et illuminati. Drumont (1844-1917) était un polémiste, surnommé l’Ogre, qui connut un grand succès avec son pamphlet La France juive en 1885. Son continuateur Henry Coston (1910-2001) fut vice-président de l’Association des journalistes antijuifs sous Vichy.
5.  Sur cette ténébreuse affaire, voir : « Alain Soral et le « butin de guerre » de la liste antisioniste », www.article11.info et aussi JBB, « Alain Soral, petit idéologue et grand épicier », Article 11, novembre 2013.
6.  On ne peut pas, hélas, négliger le sentiment antijuif qui circule chez les jeunes des quartiers et qui s’exacerbe à chaque fois que l’État d’Israël bafoue les droits des Palestiniens. Les « antisionistes » du type de Dieudonné portent une lourde responsabilité en encourageant l’amalgame, responsabilité partagée en partie par les sionistes du type Crif qui font barrage à toute critique vis-à-vis de la politique israélienne.
7.  Fin 2012, Dieudo, tracassé pour quelques étourderies vis-à-vis des impôts, a réussi à lever une souscription personnelle d’un montant de 600 000 euros. Sur l’aspect vénal du loustic, voir « Dieudonné - Antisémite et réalités » dans les Dossiers du Canard enchaîné – Les Nouveaux réacs, n°129, octobre 2013.